La France coloniale et les zoos humains

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Contexte historique

L’attrait pour les zoos humains
En 1906, la France possède le deuxième Empire colonial au monde après le Royaume-Uni. Ces conquêtes ont permis de retrouver une fierté nationale mise à mal depuis la défaite de 1870. Même si l’opinion publique ne demande pas une poursuite effrénée de ce processus, la domination française en Afrique et en Asie suscite une réelle volonté de découvrir ces contrées « exotiques ». Les expositions coloniales cherchent à répondre à cette curiosité de la population. L’année 1906 voit l’organisation d’une exposition à Paris mais également à Marseille. Le principe en est simple : il s’agit de reconstituer des espaces dédiés à la découverte des territoires colonisés. Tous les domaines sont concernés : l’architecture, les modes vestimentaires, la façon de vivre, les pratiques rituelles… Pour ce faire, de véritables villages indigènes sont construits et des personnes sont déplacées pour « peupler » ces décors factices. Quelques animaux caractéristiques accompagnent ces populations. La représentation est prête, les spectateurs peuvent affluer, les zoos humains sont à la mode.

Analyse de l’image

Tout l’Empire sur les Champs-Élysées
Le quasi totalité des possessions françaises est évoquée dans cette affiche. L’Afrique noire occupe une place prépondérante : une femme, portant son enfant de manière traditionnelle, pile du mil dans un mortier à proximité de cases rappelant les habitations traditionnelles de ces régions. Les autres parties de l’Empire sont plus valorisées : les bâtiments à l’arrière-plan rappelle les splendeurs des temples asiatiques ou des mosquées nord-africaines. A l’inverse de ceux d’Afrique noire, ces peuples sont représentés comme les héritiers de civilisations brillantes. Dans cette époque marquée par les théories raciales, une hiérarchie entre les peuples colonisés est opérée dans cette image. Cette affiche vise à attirer une foule de visiteurs : les tarifs occupent donc une place importante et les attractions supplémentaires, comme les concerts, donnent l’impression que les Parisiens vont assister à un spectacle permanent, vivant, mélangeant la beauté des paysages, la diversité de la flore et de la faune et la découverte de peuples « primitifs ». Le souvenir de ces zoos humains constituera une cicatrice importante dans l’histoire des peuples colonisés.

Interprétation

Une vision dépréciative du colonisé
Le personnage féminin donne une vision multiple de l’Afrique noire : érotisation manifeste en raison d’une semi nudité fort provocante à la Belle Epoque, difficulté de la vie quotidienne puisque le peu de mil disponible est battu au pilon, simplicité de l’habillement et du logement rappelant un « état de nature » que les sociétés occidentales ont su dépasser par leur développement technique. S’ajoute à ces éléments la volonté d’associer l’indigène à l’animal. La femme ne s’émeut guère de la présence d’autruches et la manière avec laquelle elle porte son enfant met en avant, certes un instinct maternel, mais un instinct maternel propre à beaucoup de mammifères et en tout cas éloigné des codes de conduite occidentaux. La vision civilisatrice de la colonisation, très en vogue à l’époque, sort renforcée de cette affiche car la présence française est considérée comme une assurance de progrès pour ces peuples

Par contre la végétation, la richesse des bâtiments au fond de l’affiche sont des éléments de valorisation : la France, qui a su se rendre maîtresse de ces contrées, prouve sa puissance puisque ces territoires ont une histoire et une culture. Leur soumission à la République ne fait que renforcer le mérite de cette dernière. Pour exciter la curiosité du visiteur, l’exotisme des habitants et de la nature est mis en avant. Pour satisfaire l’orgueil des Français, la puissance nationale qui a permis de soumettre tant de terres aux conditions de vie « si singulières » est sous entendue.

Auteur : Vincent DOUMERC

Bibliographie

  • Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Laurent GERVEREAU, Images et colonies (1880-1962), Iconographie et propagande coloniale sur l’Afrique Française de 1880 à 1962, Paris, BDIC-ACHAC, 1993.
  • Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Sandrine LEMAIRE, Ces zoos humains de la République coloniale, in Le Monde Diplomatique, Août 2000.
  • Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Sandrine LEMAIRE, Zoos humains. De la Vénus hottentote aux reality shows, Paris, La Découverte, 2002.
  • Raoul GIRARDET, L’Idée coloniale en France, rééd. Paris, Hachette coll. « Pluriel », 1986.
  • Source:http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=885
  • http://www.hommes-et-migrations.fr/docannexe/file/1228/12…
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Inforétif

Vos copains font cela aussi, en ce moment-même, Jean Muslim :
http://www.rue89.com/2012/09/25/charia-au-nord-mali-il-coupe-ma-main-comme-sil-tuait-un-mouton-235612

Et vous vous étonnez que j’écrive qu’il vous manque une case quand je vois que vous les soutenez ?!!

Inforétif

Petite histoire drôle qu’on se racontait dans les années 80 lors de dîner en ville :
Giscard dînant chez Bokassa à propos d’un plat exotique lui demande : Bokassa, cher ami, est-ce qu’on peut manger ce plat avec les doigts ? Et Bokassa de lui répondre : Non, les doigts, on va les manger à part !
Tiré de l’article copié par Jean Molul1 et non cité :
http://www.groupe-galuchat.info/con-01/dossier-con.php

Sinon Jean Moul1, pas besoin de remonter dans l’histoire pour les horreurs :
http://www.liberation.fr/societe/2012/09/18/polemique-dans-un-hotel-de-luxe-apres-une-affaire-d-esclavage_847157

Nyx

Ben comme quoi à l’époque ils étaient plus écolos que nous ! pas de gaspillage, tout était recyclé sur des besoins primaires.

Nyx
J”aime beaucoup cet article ; c’est bien fait ; il me rappelle une découverte : celle des globes de Vincenzo Coronelli exposés de temps en temps à la bibliothèque nationale de France. Extraordinaires réalisations dédiées au roi soleil , l’un d’eux est un faire-part de naissance, illustrant l’état du ciel et des étoile à la naissance du roi dans un camaïeu de bleus splendide. L’autre est un globe terrestre … illustré pour chaque pays par une iconographie naïve. A l’emplacement de ce qui pourrait être la Nouvelle-Calédonie ou la mélanésie, sont assis deux natifs, autour d’un feu faisant tourner une… Read more »
Inforétif

A remarquer que déjà à l’époque la France pratiquait ici la discrimination positive : elle offrait l’aller-retour gratuit pour certains canaques et seulement un aller simple aux blancs.

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