Les Premiers Mariages Homos en Calédonie, ou La Triste Fin de La Famille Normale Calédonienne

Ca y est : les premiers bans ont été publiés, les premiers mariages de personnes du même sexe devraient être célébrés sous peu en Nouvelle-Calédonie, conformément à la nouvelle loi, promesse électorale d’un candidat devenu Président de la République pour qui nombreux électeurs ont voté ici.

Non pas que cela me remplisse de joie — cela m’indiffère presque, en fait. Mais ce qui ne me laisse pas indifférent, c’est le ridicule, le faux, l’hypocrite, l’injuste des réactions hostiles de certaines personnes devant ce “changement” (qui n’en est presque pas un), et je ne peux aujourd’hui m’empêcher d’avoir une pensée pour ceux qui, il y a quelques mois se sont tant évertués, égosillés pour s’opposer et manifester pour défendre la “famille normale” contre la menace que sont les mariages de même sexe.

Mais bon, qu’est-ce que les mariages de personnes du même sexe, quelques dizaines tout au plus, vont changer à la Calédonie ?

Comment vont-ils affecter sa société ? Car pendant que deux hommes ou deux femmes se marient sous les cocotiers pour vivre leur bonheur, pour que leur amour ait une existence, une protection légale, que se passe-t-il, pendant ce temps là, ailleurs dans la ville, dans les quartiers, en brousse ?

La réponse n’est pas difficile à trouver…

Pendant ce temps-là, nombreux sont les couples homme-femme qui continueront de divorcer après quelques années de mariage; ils se déchireront pour la garde des enfants, qui seront souvent en garde alternée, ou élevés par un seul parent. Parfois déstabilisés, déprimés, certains feront des tentatives de suicide, seront en échec scolaire, ou auront quelques lacunes dans leur éducation. Les statistiques ne comptent pas les enfants nés d’unions libres, dont les parents s’unissent et se séparent tout aussi librement. Ceux-là seront souvent pris en charge par la société.

Pendant ce temps-là, le nombre de fille-mères se porte bien dans ce pays, vu que les géniteurs normaux ne se soucient pas et n’élèvent pas leur progéniture, mais préfèrent courir les bars, les nakamals, ou les femmes. J’en ai croisé, des mecs du pays comme ça, qui distribuent leur semence, par-ci par-là. Pas grave, les enfants seront pris en charge par l’argent public, et les garçons qui grandissent sans père sont plus susceptibles de sombrer dans la délinquance que les autres, comme l’explique une récente étude menée en Grande-Bretagne. A Nottingham ou à Nouméa, les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Pendant ce temps-là, des gosses de 14, 15 ans sont dehors toute la nuit, livrés à eux-mêmes; le père et la mère, parents normaux de famille normale, ne savent pas ou ils sont ! Mais d’autres le savent : ils sont dans leur maison, en train de les cambrioler, ou dans leur voiture volée ! Suite à un récent cambriolage dans les quartiers Sud, on a vu sur le net la diffusion de photos de ces gosses venant de familles normales.

Pendant ce temps-là, les femmes battues seront toujours nombreuses en Calédonie ; elles seront aussi prises en charge par la société. Papa tape Maman, ben oui fiston, nous on est une famille normale tahi ? Papa tape Maman devant les gosses, mais c’est toujours plus noble et normal qu’être pédé ! Tu seras un homme mon fils, comme Papa, alcoolique, violent ! un homme, un vrai de vrai ! Maman en foyer d’accueil, Papa au Camp Est, et c’est au contribuable qu’est adressée la facture, dans un monde normal.

Pendant ce temps-là, les incestes et les viols de mineur(e)s seront toujours nombreux et cachés dans les petits recoins de Calédonie, tout comme seront nombreux les enfants nés de ces drames, actes criminels commis par des hommes hétérosexuels –bien sûr– qui adorent cracher sur les pédés parce que les pédés c’est des chiens. Combien de nièces, cousines, belles-filles de 10, 13 ou 16 ans ont été violées ou victimes de sévices dans les familles normales ce pays ?

Pendant ce temps-là, les enfants de familles normales poussent le charriot à Carrefour le vendredi, charriot rempli d’alcool pour recevoir comme il faut la famille le week-end. Enfants cruellement exposés au contre-exemple; argent gaspillé, parents alcoolisés, comportements indécents, langage obscène, bagarres entre adultes, coups de poings et sang sur le visage, spectacles récurrents livrés aux enfants par leurs parents normaux. Un week-end normal, dans une famille normale, dans un quartier populaire.

Mais bon, sous les cocotiers, on ne veut pas du mariage des homos, on veut protéger la famille, les enfants; on veut qu’ils grandissent dans une famille normale, on veut pas qu’ils aient sous les yeux de mauvais exemples, on veut pas qu’ils deviennent pédés à leur tour. Non, on veut pas du mariage homo, parce que nous on est des gens normaux, nous défend la morale et surtout on protège les enfants, on protège la société…

Etre opposé au mariage homo n’est pas en soi mal, condamnable, reflet d’une intolérance qui ferait honte à celui qui exprime son opinion. C’est un point de vue que je conçois, que je respecte et je ne me fâcherai jamais avec quelqu’un qui y est opposé sans être homophobe au sens propre du terme. Par contre il faut bien comprendre que dans le contexte calédonien, cette opposition est difficilement dissociable d’une homophobie banalisée quasi culturelle*. Et on se doute bien que parmi ceux qui se réclament de “famille normale” en rempart vertueux contre la décadence et la menace contre la société que sont les mariages de même sexe, se trouvent les individus qui illustrent les magnifiques contre-exemples ou monstruosités cités plus haut. Triste réalité calédonienne. Il y en a qui feraient mieux d’aller se torcher le derrière avant de parler de morale et de “famille normale”.

Car pendant ce temps-là, les jeunes de ce pays sont confrontés à l’instabilité ou au délaissement des parents, à l’échec scolaire, à la violence, à l’auto-destruction au cannabis, mais c’est sûr, s’opposer au mariage homo, c’est les protéger … contre quoi ? Pas étonnant que la jeunesse de ce pays se porte si mal, et que le Tribunal de Nouméa croule sous les dossiers, avec toutes ces familles normales. Parce que ce qu’il y a de scandaleux, de choquant, d’injuste dans ce pays, c’est que les homosexuels qui souhaitent se marier sont devenus les bouc-émissaires d’une société qui n’a même plus le courage de se regarder dans un miroir, d’individus trop sots ou trop fiers pour avoir la décence de reconnaître — ou ne serait-ce de prendre conscience ? – leurs défaillances morales ou parfois même criminelles, alors qu’ils sont censés être le pilier originel de la “famille normale”.

Une somme d’individus comme ceux montrés ci-dessus, qui constituent une société à la dérive, malade d’elle-même. Ces mêmes individus qui voient le danger dans l’inoffensif mariage de quelques personnes du même sexe. Qui se permettent de porter un jugement moral sur ce qu’il y a de plus intime, de plus privé dans la vie des autres. Comme dit le proverbe, on voit la paille dans l’oeil de l’autre mais on ne voit pas la poutre dans le sien.

Le mariage homo, c’est sûr, c’est la fin du monde en Calédonie, c’est la décadence de la société, c’est la mort de la famille.

L’homophobie joue un rôle très utile dans la société calédonienne : elle sert à débusquer les imbéciles profonds.

Mister Eric.

(*) La Jamaïque, pays joyeux du rastafari peace and love et de la culture de la tolérance universelle –paraît-il– est aussi le pays ou règne une homophobie violente. C’est les îles, c’est comme ça, c’est … culturel.