24 SEPTEMBRE : CITOYENNETÉ, MÉMOIRE SELECTIVE ET COLLECTIVE

Et soudain, monsieur Frogier, nouvel Hibernatus arraché du permafrost sénatorial à l’occasion de la fête de la citoyenneté, se dresse, s’ébroue et entonne l’air martial de la solidarité nationale à l’intention de ses concitoyens également congelés, du corps électoral ceux-là. Dans sa lettre ouverte aux Calédoniens, prolongement d’un opuscule sitôt publié, sitôt oublié, il nous écrit en effet : « il nous faudra rouvrir le dossier du corps électoral ». En voilà une idée tonitruante. C’est dans cette qualité fondamentale que l’on reconnaît le politique hors-norme : la réactivité. Celle de monsieur Frogier, telle la particule subatomique propulsée dans un quelconque cyclotron, est inouïe, tout comme son culot nickelé d’ailleurs.

Si l’on osait, on pourrait demander à monsieur Frogier en quoi consistèrent ses activités professionnelles au cours des trois dernières années, en dehors de quelques flâneries automnales dans les allées du Luxembourg. Sans doute eut-il été opportun pour lui de meubler son temps libre par la relecture de l’Accord de Nouméa, de la loi Organique, et notamment de son article 188.

Car au-delà de l’annonce, il y a le mode d’emploi, et franchement dans cette occurrence, il est à craindre que le Calédonien se trouve aussi démuni qu’un quidam auquel on aurait livré un mobilier suédois en 253 pièces avec pour toute consigne de montage un dépliant en version originale. Ouvrir le dossier du corps électoral, certes mais pourquoi faire ? Revenir sur le gel, là tout de suite ? Si c’est ça l’idée, outre l’hilarité qu’elle provoquera dans le camp indépendantiste, gageons qu’elle finira débitée dans le broyeur d’un quelconque bureau de sous-secrétariat d’État. Nul n’ignore en effet, qu’avant la sortie de l’Accord de Nouméa, de renégociation du gel, il ne peut y avoir. Tout simplement parce que sa constitutionnalisation, dans le titre XIII, ne le permet pas. Monsieur Frogier ajoute dans son courrier « qu’il faut bien que les indépendantistes comprennent… » Qu’il se rassure, les indépendantistes ont tout bien compris : ils prennent ce qu’on leur donne, drapeau FLNKS entre autres, et tracent leur route…

D’ailleurs monsieur Goa, dont les propos ont été retranscrits dans le Monde du 09/08/13, prône une « indépendance préparée » en même temps qu’il affirme « avoir évoqué l’idée d’une solution consensuelle avec le président du Rassemblement », rappelant ainsi monsieur Frogier aux bons souvenirs de la Coalition et les Calédoniens à une nouvelle déclinaison de l’indépendance-association. « Etant donné que nous allons apprendre à être souverain, on aura besoin de la France, pour la suite », précise-t-il en effet. Après moi le dégel, semble-t-il vouloir dire.

Quant à monsieur LKU, qui voit des Nainville partout, il a bloqué son compteur de la citoyenneté ethnocentrée, le jour de la table ronde de Juillet 83, ce qui ne nous rajeunit pas, et lui encore moins, dans son idéologie crypto-xénophobe surannée. Dans une sorte d’amnésie antérograde, il semble avoir effacé de sa mémoire un quart de siècle d’Histoire calédonienne, Accords de Matignon, Accord de Nouméa, destin commun, terre de parole et de partage. Selon lui donc, la citoyenneté c’est Kanaky 2014, point final. Il n’y a plus rien à négocier, exception faite, sans doute, de ses arriérés CAFAT.

Enfin, de son côté, monsieur Yanno est occupé au tri sélectif de ses propres souvenirs : drapeau FLNKS hissé sur mairie, un beau matin de 2010, cautionnement marmoréen de la politique rumpoïde jusqu’à fin 2012, en tant que vice-président et porte-parole du Rassemblement, tout cela il conviendra de le faire oublier avant les échéances électorales de 2014. Du coup, en dehors de la Calédonie dans la France et puis c’est tout, concept ultra-novateur, la notion de citoyenneté, ce n’est pas trop le sujet, le sien en tout cas. Le recyclage de la « collectivité fédérée », idée glanée sans doute sur diverses étagères poussiéreuses de monsieur Brétégnier, n’ayant d’autre but que celui de faire croire aux Calédoniens qu’au MPC, nouveau RUMP customisé des Cartier sud, on a quelque idée institutionnelle. Idée inapplicable, puisque, encore une fois, la constitution de la Vème République interdit tout fédéralisme. Les Lander allemands, c’est une bonne idée, mais surtout en Allemagne.

Mémoire collective des Calédoniens, réputée tenace, contre mémoire sélective opportunément réécrite, le match semble déséquilibré. Gardons-nous cependant de tout excès de confiance…

Calcyt