La décision de Jean Lèques : destin particulier et schémas communs.

Tout Nouméa semble pendu aux lèvres de Jean Lèques, notre Maire actuel, qui fait durer le suspense et fait attendre les Nouméens quant à savoir s’il se représentera ou non aux élections municipales de 2014. Mon but en écrivant cet article n’est pas de mettre en avant une préférence pour tel ou tel candidat, ni faire campagne contre le Maire sortant, mais d’expliquer à travers l’exemple d’un homme, un mécanisme à plusieurs facettes dans la relation homme public / électeurs, mécanisme qui semble s’inscrire dans un schéma préétabli et devenu universel, vérifiable pour chaque élection, avant et après, lorsqu’un homme public a été très longtemps aux commandes d’une collectivité.

Cette attente devant laquelle sont mis les citoyens, c’est un peu comme le suspense des Présidents de la République qui, encore quelques jours avant la veille du nouvel an et des élections présidentielles, jouent à ce jeu qui consiste à laisser les électeurs dans le flou, refusent de les laisser connaitre leur décision. Ils ont de ce fait une attitude qui agace; cette manière de s’y prendre est souvent ressentie comme un manque de considération envers les électeurs qui sont d’abord des personnes, et faire languir une personne est en général mal ressenti. De plus, cela laisse présager que l’homme sera de nouveau candidat — et c’est souvent le cas– ce qui aussi peut en rajouter à l’agacement au sein de l’électorat si le candidat est d’un âge avancé et s’il a tenu une fonction publique sur une durée qui se mesure en décennies alors que les citoyens pensent qu’ “il a fait son temps”.

En effet, si Jean Lèques annonce qu’il veut se représenter, cette décision par elle-même déjà agacera les Nouméens. D’abord parce que cette campagne électorale s’inscrit dans un contexte particulier de lassitude des citoyens envers les anciens de la politique locale qui semblent s’accrocher éternellement à leur poste, et cela s’explique par les soubresauts qu’a traversé la politique calédonienne ces trois dernières années. Cette décision passerait aussi mal du fait qu’elle serait vue comme une sorte de compétition de mauvais goût avec le défunt Roger Laroque, pour simplement lui rafler le titre d’homme qui a été Maire de Nouméa le plus longtemps. Roger Laroque est mort alors qu’il était encore Maire, et se représenter à 82 ans donnerait à Jean Lèques l’image d’un vieil homme poussé par l’orgueil à tenter de vouloir battre un record. Battre un record, et non servir encore sa ville avec dynamisme et surtout toutes ses capacités.

Ensuite, ce contexte particulier calédonien évoqué dans le paragraphe ci-dessus se resitue lui-même dans un contexte plus général, voire universel, celui d’un désir, d’un besoin chez les peuples, chez ceux qui votent et choisissent, de renouveau, de “sang neuf” et ce quelque soit le “niveau” de l’élection, du niveau local au niveau d’un état. En effet, Sarkozy, Obama, Hollande ont été élus “jeunes”, 47 ans pour Obama, 52 pour Sarkozy. Certains de ces Présidents ont été gagnants en partie grâce à leur “jeune âge”, les électeurs se sentant ainsi plus proches de leurs candidats du fait de leur âge. Bill Clinton, en son temps, avait un peu inauguré la tendance en étant élu à 46 ans, à une époque où en France la longévité du règne mittérandien commençait à lasser; la mise en place du quinquennat en est la preuve devant l’Histoire. Force est de constater que désormais la gérontocratie se porte mal partout et à tous les niveaux politiques et cette tendance ne peut épargner la Calédonie, Jean Lèques ne peut s’y soustraire. Ce qui vient d’être expliqué dans ce paragraphe est une composante probablement peu perceptible mais certainement pesante dans le ressenti collectif, dans ce qui se passera et ce qui en découlera.

S’il se représente et — cas peu probable– l’emporte, alors il continuerait de cristalliser sur lui toutes les amertumes, toutes les expressions d’insatisfaction des citoyens de la ville devant les problèmes connus de celle-ci, notamment la délinquance, etc. Même si certains de ces problèmes ne sont pas directement de son ressort, le fait est que en tant que Maire il doit agir, il est responsable devant ses électeurs . Et on lui reprochera son âge qui ne lui permettrait plus de donner le meilleur de lui; on ne lui épargnera pas la critique acerbe, qui mélangera les manquements et la question de son âge. S’il se représente et qu’il perd, il perdra tout; sans trop risquer de se tromper, on peut supposer que les Nouméens seront nombreux à se dire “bien fait, il a pas voulu comprendre”, “exit le vieux, basta ! “; ce sera la sortie par la petite porte, celle de la lassitude suivie de l’ingratitude, l’événement qui marquerait sans doute et douloureusement la fin de sa carrière publique. Il perdrait beaucoup en image; le “jugement public” exacerbé par les épisodes politiques récents et de ce fait remonté contre la gérontocratie peut-être impitoyable et a ses raisons que la raison ignore peut-être.

S’il décide de ne pas se représenter et prendre sa retraite, s’il s’en va par cette sortie honorable, alors il devrait gagner en sympathie chez les Nouméens, ses administrés. Quand ils le croiseront dans la rue, ils verront leur ancien Maire, ils auront forcément, devant son statut d’homme âgé, retiré de la vie publique, un regard apaisé, indulgent et plus respectueux pour sa personne. Il sera notre ancien Maire, qui aura fait beaucoup pour sa ville, et envers qui nous sommes reconnaissants, même si le bilan n’est pas parfait — quel élu a un bilan parfait ? Les Nouméens verront en lui un homme qui a su faire acte de sagesse et de lucidité en décidant de se retirer; ceci inspirera du respect puisqu’ils verront un homme qui a accepté de redevenir simple citoyen, “un vieux” qui ne s’accroche ad vitam eternam à sa fonction pour des raisons qui n’ont que des défauts : l’égo, le refus de renoncer au pouvoir malgré l’âge. Ce sera, sans l’ombre d’un doute, la sortie par la grande porte.

L’homme pourra enfin se reposer et consacrer les précieuses années de vie qui lui restent à sa famille. Lui, comme tout homme ayant mené une longue carrière publique et qui à un moment donné de sa vie est confronté à cette situation incontournable par la force des choses –sauf dans les cas particuliers où des mécanismes législatifs ( limitations du nombre de mandats) empêchent l’avènement de cette situation. De manière générale, et dans le cas particulier, la sagesse de l’homme en question se jouera dans cette décision à venir, ainsi que se jouera le souvenir que les Calédoniens en garderont.

Mister Eric