Politiques calédoniens : quelle exemplarité !

Cette semaine, grenouillages et gesticulations dans le marigot politique local. Depuis combien d’années nous sommes-nous ici penchés sur cette cuve, dont on haït le jour blême, l’atmosphère bitumeuse de mauvais tableau d’histoire. La faune qui s’y agite, il semble qu’on l’observe maintenant au microscope, entre dryades et satyres, entre arrivistes et parvenus, tellement elle nous semble loin de ce qu’on attend d’elle.

L’élection du gouvernement a tout de moins eu lieu. Cynthia Ligeard en est sortie élue. On la regarde, on l’écoute, on sourit, on ne s’étonne pas. La Calédonie a eu souvent le spectacle de ces restaurations : les fusils changent d’épaule, les vestes se retournent. C’est réglé comme un ballet que l’histoire de l’accord de Nouméa remet de temps à autre à l’affiche. La dernière reprise datait de 2011. La peur jouait alors : les Dieux avaient soif.

Aujourd’hui, la peur ne joue plus ; le peuple s’étant exprimé il n’occupe plus la scène, et seuls les intérêts s’agitent. Que des hommes et des femmes fassent mine de s’intéresser à la chose publique, voilà une belle découverte. Mais cela frappe dans les moments comme celui-ci. Les politiciens, surtout les politiciens d’affaires, leur métier exige qu’ils aient toujours des beaux principes plein la bouche. Regardez madame la présidente Ligeard : les siens ont vacillé d’un coup un soir de dimanche. On ne roule plus les yeux, on n’invoque plus une légitimité dont on croyait être le seul légataire, on ne cite plus le nom de son propre mouvement, on s’oublie. Il fallait la voir sur le plateau du journal, en direct, brasser du vent, tenter de rassurer, balancer des lieux communs, présenter comme seule proposition aux maux du pays celle d’un autre parti politique que le sien. L’argent manque et il manquera bientôt davantage. « Les affaires, c’est l’argent des autres ». C’est surtout le sang des pauvres, et quelque fois des riches. Madame la présidente s’est bien gardée d’annoncer qui subira la première saignée. L’optimiste pensera qu’elle avance masquée, le réaliste qu’elle ne sait simplement pas où elle va. Et nous avec.

Au congrès, monsieur le président Yanno prend ses aises. On est ravis pour lui. Il fait des blagues. Il est content. On se pince ; les élections auront fait un heureux.

Non loin de là, sur les Baies, c’est l’horreur. De gros poissons effarés, sortis d’une vase politicarde, s’ébattent à la surface, se ridiculisent, se saoulent et certains d’entre eux se battent. Un décès. Comment expliquer ce dégout suintant dans mes propos ? Pourquoi évoquer ce fait-divers putride dont nul ne connait encore les tenants et aboutissants ? Quel manque de tact pourriez-vous dire ! J’en demande pardon à ces messieurs, mais un mort me tire par la manche… Aussi, d’abord je m’interroge. Pourquoi cette hargne dès l’annonce faite ? Pourquoi ce sentiment diffus de censure embaume-t-il déjà l’air ? Et cette gesticulation webo-médiatique, ce besoin de se justifier à tort et à travers de ceux-là même qui clament ne rien y avoir à faire ! Quelle imprudente fureur chez ces hommes que nous voyons d’habitude l’œil circonspect, l’oreille tendue à tous les bruits, humant le vent – celui qui vient du sud – et ne s’engageant à fond que le moins possible.

Et que venaient-ils faire dans cette galère ? Ces élus, ces responsables, quels étaient-ils ? On nous dit de l’UC, on nous dit de l’UPM, on nous dit de Calédonie ensemble, et de qui d’autres encore ? Qui peut croire en ce jour, en cette période, qu’il ne s’agissait pas d’une réunion à visée politique ? Et en ce cas, comment expliquer, alors, l’absence du Palika, l’absence du Rump ? De quoi parlaient-ils sinon de leurs affaires, c’est-à-dire des nôtres ? La mémoire d’un homme politique appelle qu’on ne fasse pas l’impasse sur le contexte et les raisons d’un tel drame. S’il n‘existait qu’un seul soupçon, qu’une seule preuve qu’un père de famille, un mari, un citoyen respecté fusse victime ce soir-là de son engagement politique, l’honneur de ces hommes et de ces femmes – s’il leur en reste un tant soit peu – est d’en faire la lumière. Car le risque qui plane sur eux est total. Ce qui était possible il y a quinze ans, il y a une génération, est aujourd’hui caduc : l’édulcoration, la censure, le « pas-de-vague » tous ces démons ont fait leur temps. La Calédonie a changé et suit son époque. La révolution numérique, l’information en continue qu’elle provoque et distille, l’étroitesse du milieu politique et médiatique, le poison de la rumeur, tout les enjoint à affronter le regard de l’opinion publique et à parler clair. On ne tue plus impunément un homme.

Dans les mois, les années qui viennent, les élus et responsables politiques vont attendre des Calédoniens des efforts. Ils vont les demander, les supplier, les exiger peut-être ; efforts financiers, sociaux, humains, politiques. Le pays cherche à se construire un avenir et doit dans le même temps se réformer s’il veut continuer à se développer. Or, comment serait-ce envisageable si le contrat entre demos et kratos venait à être irrémédiablement rompu ? Les citoyens ont de moins en moins confiance dans cette “élite” et les faits quotidiens leur en donnent parfaitement le droit. Hélas ! C’est que la politique, de toutes les activités humaines, est celle où le hasard joue le moins, où la valeur des hommes compte le plus et où leur inexpérience se paie le plus cher. Mais quels exemples ! quelles valeurs ! Notre beau pays mérite mieux que l’image qu’ils nous en renvoient. Et il s’agit là d’un doux euphémisme.

SIRIUS