Plus de 13.000 gérants d’entreprises sont appelés cette semaine à voter pour renouveler la direction de la puissante Chambre de Commerce et d’Industrie. Deux listes se font face, mais leur moyens et leurs soutiens ne sont pas les mêmes… Enquête.

La CCI ne connait pas la crise. Selon son dernier rapport d’activité, avec près de 1,8 milliards de francs de budget, 250 salariés et des frais de fonctionnement en hausse de 9,4% sur un an, l’organisme chargé de représenter les intérêts des entreprises locales vit toujours comme si la situation économique n’était pas devenue plus difficile. Responsable de l’accompagnement et du développement des entreprises, c’est notamment au travers de sa gestion des infrastructures aéroportuaires qu’elle reste connue des Calédoniens. Or, ce 10 décembre, l’ensemble des responsables de sociétés et d’entreprises du pays seront appelés à désigner les 30 membres de l’assemblée consulaire, elle-même chargée d’élire un nouveau président pour succéder à l’inamovible André Desplat. Cette fois-ci, fait rarissime, deux listes s’affrontent : celle portée par la vice-présidente actuelle de la CCI intitulée « Agir pour vous » et une autre « Renouveau Entreprise », pilotée par le Directeur Général d’Aircal.

« Plus apolitique que moi tu meurs… »

Dans ce scrutin de liste bien particulier, les chefs d’entreprise disposent chacun d’une voix – qu’il soit artisan ou à la tête d’une TPE ou d’une grosse société – si bien que les grandes entreprises habituées à contrôler ou influencer la CCI ont dû depuis plusieurs semaines entreprendre une véritable campagne de communication vis-à-vis des 13.400 patrons-électeurs. Car dans cette élection ce sont bien les artisans qui –par leur nombre – décident du résultat. Aussi, pour ne pas offusquer cet électorat qui se méfie généralement des grosses sociétés (représentées principalement par le MEDEF) la liste « Agir pour vous » proclame dans ses brochures de campagne qu’elle est une liste « complètement apolitique » et « déconnectée des intérêts partisans », ce que la vice-présidente Seagoe a d’ailleurs répété dans son interview aux Nouvelles Calédoniennes la semaine dernière. Problème : parmi ses colistiers figurent – par exemple – des membres du groupe Hayot (qui a racheté le groupe Lavoix et donc une très importante partie de la grande distribution en Calédonie), un co-président du MEDEF, un proche du groupe Lafleur et… le Directeur de Publication des Nouvelles Calédoniennes, M. Demazel (qui s’affiche sous l’étiquette des IRN). Reste que les artisans-électeurs ignorent souvent le rôle et les affinités politiques ou économiques des différents candidats. Ainsi, le quotidien a, justement, dans son édition de samedi diffusé un article intitulé : la liste « Agir pour Vous est en campagne ». Et dans celui-ci, pas un mot sur la liste concurrente. De quoi suspecter quelques intérêts partisans dans la couverture de cette information ? Cela dit, le Directeur de Publication du journal étant lui-même candidat, on pourrait comprendre qu’il fasse la promotion de sa liste via son « entreprise ».

La Chambre des Comptes très critique

Néanmoins, l’actuelle équipe dirigeante ne douterait pas de ses chances de voir « sa liste » conserver le contrôle de la CCI et ce malgré les déboires que l’organisme a connu ces dernières années. En effet, en 2007 la Chambre territoriale des Comptes avait mis en avant dans son rapport des disfonctionnements et des irrégularités dans sa gestion et dans ses choix stratégiques. Ainsi en était-il de son « régime budgétaire et comptable » qualifié d’« irrégulier » par la CTC. Sa gestion financière était, elle, jugée « préoccupante » sachant que « son équilibre financier n’est acquis chaque année que grâce aux subventions versées par la Calédonie ». De plus la CTC regrettait déjà à l’époque que, concernant l’aéroport, « l’augmentation des redevances ait porté davantage sur les passagers que sur les compagnies aériennes ». Répondant à la CTC, le président de la CCI avait alors défendu son action en évoquant les réformes effectuées pour préparer un chantier de grande ampleur…à savoir la rénovation de l’aéroport de la Tontouta.

La CCI et la Tontouta : glou-glou et bling-bling ?

Car la CCI est surtout connue des Calédoniens pour sa gestion des aéroports (celui de Magenta est sous sa responsabilité depuis le 1er octobre) et pour les mauvaises langues, la desserte et le coût du transport aérien sont pour une partie de son fait. D’autant plus que le 18 mars 2013, la CCI avait elle-même créé le scandale en inaugurant le nouvel hangar de l’aéroport par un gigantesque cocktail ayant couté plusieurs dizaines de millions de francs (une douzaine de millions rien que pour le spectacle). Jean-Jacques Brot, le Haut-commissaire de l’époque fraichement débarqué avait alors poussé un célèbre coup de gueule devant plus de 550 invités de la CCI qui, selon lui, se « gobergeaient » au « frais du contribuable » alors que les coûts et les temps de construction avaient littéralement explosé. De plus, plusieurs prestataires n’auraient pas effectué les services demandés ce soir-là et la CCI a dû depuis porter plainte contre eux… bref, cette soirée est restée dans les mémoires calédoniennes comme la caricature d’une gabegie généralisée. Concernant le chantier, en 2003, le premier projet « esquissé » avait été évalué à 5,3 milliards et ensuite la CCI avait déposé un avant-projet « sommaire » d’un coût de 9,5 milliards de francs en 2006. Or, huit ans plus tard, l’équipe d’André Desplat aura finalement fait dépenser près de 12 milliards pour rénover l’aéroport. Pour un membre de la CCI, cette soirée a marqué « la fin du règne » du président Desplat :

Pour Desplat, l’inauguration de la Tontouta, c’est l’équivalent du Fouquet’s pour Sarko : le début de la fin 

Raison pour laquelle l’actuel président aurait chargé sa vice-présidente de se porter candidate « à sa place » ? Voire. En tout cas, nul doute que lui et ses proches l’a soutiennent et espèrent la voir lui succéder comme il l’a dernièrement révélé dans les Nouvelles.

Le rapport sur la CCI enterré ?

En aout 2013, Jean-Jacques Brot annonçait à la presse avoir mandaté la Chambre Territoriale des Comptes pour enquêter sur la gestion 2008-2013 de la CCI. Selon nos informations, ce rapport aurait dû sortir dans le courant du mois de septembre… de cette année. Or, il n’en est rien. Si du côté du Haussariat on « n’explique pas officiellement » les raisons de cette absence de diffusion, à la CCI certains opposants à l’équipe actuelle avancent que plusieurs « lobbys économiques » auraient fait pression pour que le rapport ne sorte qu’après les élections de la chambre ou qu’il soit carrément rangé dans un placard pour ne plus jamais en ressortir…

Toujours est-il que, quels que soient les représentants élus ce dimanche, la nouvelle équipe devra faire face à des choix importants quant à l’avenir de la CCI. Selon le dernier rapport d’activité de la chambre, l’exercice budgétaire de la Tontouta ressort déficitaire de 750 millions/an et les taxes qu’il pratique sont parmi les plus élevées au monde. Pas vraiment de quoi faciliter le trafic aérien et l’augmentation du nombre de touristes. L’équipe actuelle ne semble pour autant ne pas s’en émouvoir, elle qui évoquait dans sa dernière brochure de présentation à la gloire de la CCI que Tontouta faisait maintenant partie des « meilleures plates-formes aéroportuaires internationales » et que « cette vitrine du pays est aussi l’aéroport de tous les Calédoniens ».

De quoi démontrer que les coûts exorbitants, les déficits, les cocktails, et la forfanterie ont, chez certains, encore de beaux jours devant eux. Une façon « d’agir pour nous » ?

Retrouvez ci-dessous le bulletin de vote diffusé par la CCI (les noms doivent être cochés ou barrés) :

+Cliquer pour agrandir Capture d’écran 2014-12-01 à 15.22.46