MELANCHOLIA

On dit souvent, on entend souvent que l’humanité roule dans la nuit d’un vide abyssal, sourd et muet, sortie de rien, retournant au néant, comme un film de Lars Von Trier, que l’Histoire des hommes est une fable insensée, pleine de bruit et de fureur, “a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing, comme le disent Macbeth et Faulkner, que le ciel est désert, désespérément vide, indifférent aux pires atrocités et qu’aucun dieu n’accompagna jamais l’agitation des humains, abandonnés aux hasards et à la mort bête et têtue, que l’homme nait seul, sans raison, sans fin, et meurt aussi seul, sans rien, pour rien, que les gens meublent et peuplent la maison vide de leur vie de peurs, de fantômes, d’ennemis, de complices, de pouvoir, de profits, de la drogue des choses putrescibles, de l’alcool des objets vains, de mots copiés, de gestes imités, de voyages pitoyables dans une cage insensible, pour l’illusion qu’elle le soit un peu moins, vide et cruellement nue, que les espoirs, les idéaux, les révoltes politiques, les technologies, les révolutions ne sont que des envols de pantins retenus par en bas par les fils innombrables de la mort… et retombent, encore plus grotesques qu’avant leur saut désespéré de Sisyphe ou d’Icare…

Orgueil et ennui …

Oui… certes… qu’objecter à tout ça ?… Les chimères du souvenir ? L’utopie de la pérennité, des descendances, des œuvres ? Le mirage du progrès ? L’humanisme, les valeurs ? Un destin partagé ? Les solidarités ?

Non… non, ça ne marche pas… ça ne marche plus … Et qu’on ne nous fasse plus le coup de l’indignation, des indignés, des pauvres, de la jeunesse, des cœurs purs … qui ne courent à leur tour qu’après les colifichets et les farces des riches, des ainés, dont ils jalousent les façades creuses et la lumière froide, à grands coups de formules d’égalité et de partage hypocrites.

Qu’on ne nous fasse plus le coup des naturels et de la nature, rouges de boue, d’animalité, de pouvoir, de violence et de sang, qui n’ont rien à envier aux rois du béton, de la bêtise, des millions, des profits flamboyants.

Non…

Quoi alors ? Pourquoi alors encore s’éveiller, se lever, parler, bouger, boire et manger, vivre ?

Peut-être pour se dire tout cela, pour se le dire à deux, moins seuls, secrètement, humblement, timidement, sincèrement, et pour en rire dans le miracle d’un matin retrouvé et de la possibilité d’une île inespérée, dans la joie inouïe d’une confidence aux bords de l’abîme.

Et pour dire encore, peut-être, après Musset : “Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : “J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. “