DESTIN COMMUN OU COMMUNAUTARISME OU DE QUOI L’AFFAIRE DU DRAPEAU EST-ELLE LE NOM ?
Le paysage politique calédonien n’est plus ce qu’il était. Tout le monde le constate mais personne ne l’explique.
Au pays du non-dit, c’est toujours la foire aux poncifs et au politiquement correct ; la clairvoyance et la franchise sont prohibées chez les politiques comme chez les journalistes. En Nouvelle Calédonie, il existait historiquement un clivage suprême entre les différents partis politiques, qui les scindaient en deux moitiés : l’indépendance.
Selon ce clivage, les partis non indépendantistes : RUMP, CALEDONIE ENSEMBLE, AVENIR ENSEMBLE, LMD et RPC, majoritaires, devraient être associés dans la gestion des institutions du pays : Congrès et Gouvernement, tandis que les partis indépendantistes : UC, PALIKA, UPM, Parti Travailliste et LKS devraient être dans l’opposition.
Or à quoi assiste t-on depuis Février 2011 : à une coalition RUMP, UC, Parti Travailliste, AVENIR ENSEMBLE, RPC, qui dirige le Congrès et le Gouvernement, tandis que sont rejetés dans l’opposition : CALEDONIE ENSEMBLE, le PALIKA, l’UPM, le LMD, et le LKS. Le pays est ainsi dirigé par une coalition indépendantistes / non indépendantistes, tandis que des partis indépendantistes et non indépendantistes se trouvent marginalisés.
Ceci démontre que le vieux clivage de l’indépendance est devenu insuffisant pour expliquer la recomposition actuelle du monde politique calédonien. Il faut donc rechercher quel est le nouveau critère qui divise à présent la classe politique calédonienne en deux parties, à première vue, bien peu homogènes.
Au-delà de l’indépendance, observons quel est le projet de société que portent réciproquement majorité et opposition ? C’est l’affaire du drapeau qui a permis aux idées de chacun de sortir de l’ombre et a ainsi été le révélateur de cette nouvelle donne.
L’An 1 de l’ère politique calédonienne moderne est l’Accord de NOUMEA qui porte un message à destination des calédoniens : celui de l’émancipation du peuple calédonien dans un destin commun. Ainsi, le préalable de l’Accord consacre t-il la légitimité de toutes les communautés à participer à l’élaboration d’un destin commun, « périphrase du peuple calédonien » selon Mathias CHAUCHAT (Les Institutions en Nouvelle Calédonie p. 16).
L’Accord institue des signes identitaires qui doivent exprimer « le futur partagé entre tous ». Il crée enfin une « citoyenneté calédonienne ». Autant de symboles appelant à rassembler les calédoniens dans le cadre d’une « communauté de destin ». Depuis, le Congrès a adopté un hymne de la NOUVELLE CALEDONIE, dont le titre est « Soyons unis, devenons frères ».
Il faut donc bien considérer que depuis l’adoption de l’Accord, la revendication d’une indépendance « kanak », est anachronique et devrait être abandonnée au profit d’une indépendance sans référence ethnique.
Cette revendication ethnique est devenue contradictoire avec l’Accord de NOUMEA.
De même la revendication de « plus de France », le refus ou la réticence aux transferts de compétence, la résistance à l’émancipation du pays sont devenus contraires à l’Accord de NOUMEA. Or personne, à ce jour, n’a véritablement tiré les conséquences de ces contradictions. Ainsi, lorsque Dewe GORODEY, membre du Gouvernement en charge des signes identitaires, réunit en 2007 une commission pour les élaborer, les indépendantistes présentèrent leur proposition pour le drapeau : celui du FLNKS.
Cette proposition n’était pas conforme à l’Accord de NOUMEA car elle n’exprimait pas le futur partagé entre tous mais uniquement l’indépendance kanak. Cependant, il s’agissait d’une proposition et les indépendantistes demandèrent aux loyalistes : et vous quelle est votre proposition ?
A ceci, le RUMP répondit : notre proposition de drapeau c’est le bleu blanc rouge.
Cette proposition n’en était pas une car le signe identitaire doit, selon l’Accord de NOUMEA, flotter à côté du drapeau français et représenter également la personnalité de la Nouvelle Calédonie. Proposer de faire flotter le drapeau français aux côtés du drapeau français revenait donc à ne rien proposer du tout.
Ce qui veut donc dire refuser l’Accord de NOUMEA.
C’était également refuser le principe même de l’identité propre de la Nouvelle Calédonie et son émancipation. La discussion au sein de cette commission devait donc tourner court et aucun débat n’avait plus lieu sur la recherche du drapeau de la NOUVELLE CALEDONIE.
Neuf mois après son élection à la tête de la Province Sud, Pierre FROGIER proposait de hisser le drapeau indépendantiste aux côtés du drapeau français, non pas en tant que signe identitaire, mais en reconnaissance des deux légitimités indépendantistes et loyalistes. Le résultat est le même, le drapeau indépendantiste occupe aujourd’hui la place du drapeau de la NOUVELLE CALEDONIE prévu par l’Accord de NOUMEA.
Ce qui a motivé le RUMP dans cette démarche n’est pas le fait qu’ils soient devenus subitement indépendantistes. On pourrait, pour des raisons politiciennes, le réduire à cela, mais c’est faux.
C’est pour une part, en revanche, le fait que le RUMP ait cherché une majorité alternative à celle constituée avec CALEDONIE ENSEMBLE en Mai 2009 et pour évincer un Philippe GOMES devenu bien envahissant dans la vie politique calédonienne. En faisant cette proposition, le RUMP redevenait fréquentable pour l’UC et le Parti Travailliste, ce qui permettait de bâtir une coalition.
Mais pour une autre part, plus profonde, moins politicienne, c’est bien l’idée même d’un drapeau de la NOUVELLE CALEDONIE et d’un peuple calédonien que rejette le RUMP, rejoint en cela par les plus extrémistes des indépendantistes kanaks : Charly PIDJOT, Rock WAMYTAN, et Louis Kotra UREGEI.
Pierre FROGIER l’a exprimé de façon on ne peut plus claire dans plusieurs déclarations et interviews : « Moi vivant (politiquement) il n’y aura jamais de drapeau calédonien ». « Une fois que le drapeau indépendantiste sera hissé en haut du mât, il n’en redescendra plus ». De même, à de multiples reprises, lui-même et ses lieutenants : Pierre BRETEIGNER, Cynthia LIGEARD, … ont récusé l’idée même de peuple calédonien. Ils ont bien signé l’Accord de NOUMEA mais en récusent en fait l’idéal : le destin commun et le peuple calédonien.
A ce destin commun, ils préfèrent l’idée du communautarisme, très proche de celle de développement séparé. Pierre BRETEIGNER l’a revendiqué dans plusieurs articles au titre explicite et au contenu sans ambiguïté. « Le communautarisme comme modèle de développement », titrait-il ainsi dans un article des INFOS.
Il exposait que les kanaks ne sont pas comme les autres, que leur mode de vie, leurs coutumes, etc, sont différents de ceux des autres communautés, en particulier européens, et qu’il est utopiste de chercher à unir tous les calédoniens en un seul peuple. Il faut, écrivait-il, au contraire tenter de « civiliser les antagonismes » chacun restant chez soi et les vaches étant ainsi, bien gardées…
C’est singulièrement ce que représente la juxtaposition du drapeau indépendantiste et du drapeau français : deux drapeaux, deux peuples, deux destins, un seul pays. Pour des raisons identiques l’UC et le Parti Travailliste adhèrent à cette idée : la revendication d’une indépendance kanak n’est pas, comme on l’a dit, soluble dans le destin commun et dans l’idée du peuple calédonien.
Afficher le drapeau « identitaire kanak » aux côtés du drapeau français permet au contraire de conserver la revendication kanako/kanak. C’est aussi demeurer dans le communautarisme et refuser le travail d’intégration de toutes les communautés calédoniennes.
L’âme de cette coalition, son idée centrale, qui transcende celle d’indépendance, c’est donc le communautarisme et son corollaire : le développement séparé. D’où l’accord de ses membres pour institutionnaliser les squats comme mode de vie naturel urbain de la communauté kanak, en marge de l’urbanisme traditionnel.
Un drapeau pour les « français », un drapeau pour les kanaks, des logements pour les « français », des squats pour les kanaks, une radio pour les « français », une radio pour les kanaks et une télé avec une rédaction « française » et une kanak. L’étape suivante, si l’on suit ce raisonnement, c’est de tout diviser ainsi : écoles, moyens de transports, lieux de fêtes, …
Cette idée du développement séparé a porté un autre nom sous d’autres latitudes, et en afrikaner cela se traduit par : « apartheid ». Il est d’ailleurs révélateur que tous les mouvements politiques ayant appelé à une fin anticipée de l’Accord de NOUMEA soient les membres de cette coalition : le RUMP et sa volonté de provoquer un référendum dès 2014 pour purger l’indépendance, Louis Kotra UREGEI et son slogan de : « Kanaky 2014 », l’Avenir Ensemble et sa volonté de trouver une solution alternative à l’Accord de NOUMEA avant 2014 et l’U.C. qui se déclarait prête à un référendum sur l’indépendance dès 2014.
Tous veulent abréger et donc mettre un terme à l’Accord de NOUMEA dans les deux ans, et ce alors que le terme naturel de l’Accord est de 2018/2019 à 2022/2023. Sur l’autre bord de l’échiquier politique se trouve l’opposition, favorable au maintien intégral de l’Accord de NOUMEA et purgée de presque tout sauf de la Province Nord et de quelques mairies.
CALEDONIE ENSEMBLE n’y est pas seule, loin de là. Elle s’y trouve en compagnie du PALIKA, d’OUVERTURE CITOYENNE, de la Ligue des Droits de l’Homme, du LKS, de l’UPM, du LMD et de l’UDC, et toute une partie de l’UC. Tous ces partis et ces hommes, que le concept d’indépendance sépare encore formellement aujourd’hui, ont au fond un idéal et un projet de société commun, précisément celui qui est inscrit dans l’Accord de NOUMEA.
Face à la proposition de faire monter le drapeau indépendantiste, ils ont tous exprimé leur réticence et leur préférence pour une recherche en commun de l’emblème calédonien. Dans une réelle unanimité, ils rejettent l’idée d’une reconnaissance des deux légitimités porteuse de division de la population et aspirent à l’émergence d’un peuple calédonien, enrichi par sa diversité et uni par les mêmes aspirations.
C’est une logique qui s’oppose à celle du communautarisme et du développement séparé.
Avec une majorité comprenant les tenants du peuple calédonien, guidée par l’Accord de NOUMEA et débarrassée du clivage indépendantiste / loyaliste, la NOUVELLE CALEDONIE se doterait de son drapeau aux côtés du drapeau français, s’efforcerait de gommer les disparités entre les communautés, lutterait contre les inégalités sociales et s’avancerait, soudée, vers son émancipation plurielle.
Finalement, cette affaire du drapeau aura eu le mérite de dynamiter les clivages traditionnels de la classe politique calédonienne. Aujourd’hui, CALEDONIE ENSEMBLE, parti loyaliste, est beaucoup plus proche du PALIKA, du LKS, de la Ligue des Droits de l’Homme (dont le Président Elie POIGOUNE est lui-même un ancien PALIKA) et de certains UC : Pascal NAOUNA, Bernard LEPEU, Daniel FISDIEPAS, que du RUMP et de l’AVENIR ENSEMBLE.
Ces derniers ont en revanche une très grande proximité idéologique avec l’UC de Charly PIDJOT et de Rock WAMYTAN et le Parti Travailliste de Louis Kotra UREGEI. La lucitidité consisterait à le reconnaître et à en tirer les conséquences en termes de positionnement politique.
Mais la société calédonienne est-elle prête à entendre ce discours, qui requiert une maturité qu’elle n’a peut-être pas atteinte, le courage de dépasser ce vieux clivage exclusif et rassurant que fut l’indépendance kanak et la volonté de voir les choses en face ? Ainsi, compte tenu de cette nouvelle ligne de division, faudrait-il considérer quel le FLNKS, en tant que regroupement de forces politiques animées par un même idéal : l’indépendance kanak et socialiste, n’a plus de sens car il regroupe des forces contradictoires aux aspirations antagonistes ?
S’ils sont tous pour l’indépendance, ils s’opposent en effet sur la façon d’y arriver, sur son contenu et sur le projet de société même. De l’autre côté, vouloir à toutes forces le regroupement du « camp loyaliste » c’est nier la fracture qui sépare ce camp entre les partisans du destin commun et du peuple calédonien et ceux du communautarisme et du développement séparé.
La NOUVELLE CALEDONIE n’a pas encore fait son « coming out » et les tenants du communautarisme nient jusqu’à l’existence même d’une coalition. Mais elle est bien là, de même que le drapeau indépendantiste qui flotte à la place de l’étendard calédonien.
Alors un peu de courage au pays du non-dit et quittons ces masques vieux de 20 ans.
Affichez votre visage tel qu’il est réellement et que ceux qui refusent l’idée, l’esprit et la lettre de l’Accord de NOUMEA cessent une bonne fois pour toutes de s’en réclamer.
Signé Z
T’es en colère après qui Nam, je comprends pas!
Vive les Grecs !
Que la paix et la liberté soient données aux Grecs !
🙂
Et juste pour le clin d’oeil, vous croyez pas, par exemple, que si on avait rendu toutes les terres calédoniennes “inaliénables, incessibles, etc…” on n’aurait pas un peu mieux rendu possible une solution plus radicale pour les mines?
Bonsoir m. Gosse, concernant l’association des propriétaires coutumier et privés, il me semble que le principe existe déjà ainsi dans le projet immobilier de koné. Les maitres de la terre peuvent louer leur terre sous forme de bail, à Lifou par exemple et même
malheureusement demander un loyer à des gens qui squattent.
De toute façon, encore une fois le statut coutumier étant appelé à évoluer, cela favorisera le partenariat et les projets économiques.
Maintenant entre la religion marxiste (du passé et dépassée) et le capitalisme effréné et actuel, il y a bien un milieu, non?
On pourrait l’appeler le juste milieu.
Si réfléchir au passé c’est être un boulet , je suis fière d’en être un. Pour avancer vers le futur faut savoir d’où on vient. De plus, si beaucoup continuent à ressasser le refrain colonial, c’est que d’autres refusent de reconnaître leurs souffrances. Plus on nie l’autre, plus il cherche à se faire entendre.
Tout à fait d’accord…
mais oui voir la chine et tous les pays de l’ex bloc de l’est
On doit interpréter ce que tu dis comment Fredy?
La clé du développement c’est la propriété privée, même si elle est collective et sous forme de bail emphythéotique.
En voulant collectiviser la terre en la rendant, incessible, inaliénable, etc, etc…les idéologues indépendantistes ont tiré une balle dans le pied du monde kanak.
Il ne peut pas y avoir de développement économique sans garantir la sécurité des fruits du travail et de l’argent qui est investi.
Même Paul Néaoutyine, marxiste de formation, a reconnu la nécessité de la propriété privée dans son livre “l’independance au présent”
Le sous-développement est souvent corrélé à l’absence de propriété privée et de défense des droits des propriétaires.
Le développement en terre coutumière ne peut se faire avec le système actuel et notre sénat en est bien constant qui prépare un cadastre écrit. Dès lors, on peut dire que le monde kanak change et la tradition orale continuera de décliner (le premier pas a été franchi
avec les palabres qui se tiennent pour tout).
Un autre texte est en préparation qui concerne le droit de succession et le droit des femmes en cette matière, notamment sur le foncier. Là aussi du changement à prévoir.