Peut-on encore faire un rêve ?

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Dans le marasme idéologique et le blocage institutionnel qui sont notre lot quotidien depuis maintenant deux ans, on se prend à rêver d’institutions fortes, d’un avenir dont l’horizon ne serait plus limité au scrutin d’autodétermination, et de partis politiques capables de soulever les foules avec des discours comme celui qui suit, très librement adapté, pour voir ce que ça donnait et toutes proportions gardées, de celui de Martin Luther King en août 1963 :

Il y-a 25 ans, deux grands calédoniens, à l’ombre symbolique desquels nous vivons encore aujourd’hui, ont signé les accords de Matignon. Ce texte capital fut perçu comme un phare dans la nuit par les milliers de calédoniens dont la vie s’était consumée dans les flammes de la guerre civile. Il fut accueilli comme l’aube d’un jour nouveau, qui mettait un terme à la longue nuit des évènements.
Mais 25 ans plus tard, les calédoniens n’ont pas encore su se libérer. 25 ans plus tard, leur vie est encore menottée par les incompréhensions et handicapée par les discriminations. 25 ans plus tard, de nombreux calédoniens vivent encore en retrait au milieu d’un océan d’opportunités. 25 ans plus tard, de nombreux calédoniens sont encore au ban de leur société alors que d’autres sont repoussés aux limites de la citoyenneté, futurs exilés sur leur terre de naissance. Nous devons aujourd’hui mettre en lumière cette situation inique.

Dans un sens nous devrions même exiger le paiement d’une dette à nos forces politiques. Lorsque les architectes des accords de Matignon et de Nouméa écrivirent les mots fondateurs de la réconciliation puis de la reconnaissance, ils signèrent par cela même une promesse dont chaque calédonien est aujourd’hui l’héritier. Ces textes constituaient la promesse que chaque calédonien serait garanti dans son droit de vivre libre de toute entrave et heureux sur cette terre.
Il est évident aujourd’hui que nos forces politiques ont manqué à leurs engagements envers le melting-pot calédonien et envers les kanak eux-mêmes. Au lieu d’honorer cette obligation politique et morale sacrée, les partis politiques ont signé un chèque en bois à la population, qui lui a été retourné avec la mention « provision insuffisante ».

Mais nous devons refuser de croire que la banque de la justice économique et politique a fait faillite en Nouvelle Calédonie. Nous devons refuser de croire que la justice économique et politique est insuffisante dans un pays au potentiel économique aussi immense, dans un pays qui a su se dépasser pour accepter les accords de Matignon et de Nouméa. Nous devons demander à nouveau à encaisser ce chèque. Un chèque qui nous donnera la richesse de l’entente entre ethnies et la sécurité d’institutions stables et efficaces. Nous devons rappeler à nos partis politiques l’urgence inouïe de notre demande. Nous n’avons plus le temps de prendre le temps ni de nous injecter des tranquillisants pour patienter jusqu’aux prochaines élections ou jusqu’au terme de l’accord de Nouméa. Le temps est venu de donner un avenir à la Nouvelle Calédonie en la sortant des sables mouvants de l’irresponsabilité des forces politiques et en l’installant solidement sur le socle de ses valeurs communes.

Mais il y-a une chose que doivent se rappeler tous les calédoniens qui attendent d’accomplir leur rêve d’un avenir juste. Sur le chemin de l’accomplissement de ce rêve, il n’y-aura plus jamais de place pour la violence. Nous ne devons pas étancher notre soif de justice en buvant la coupe de la frustration et de la haine. Nous devons suivre notre chemin en adoptant la posture de la dignité et de la discipline. Les efforts immenses accomplis lors de l’adoption des accords de Matignon et de Nouméa ne doivent pas être pervertis par les interprétations tendancieuses qui en sont parfois faites, alors que tant de calédoniens, de toutes les appartenances ethniques, ont compris en les adoptant que leur destin serait lié pour toujours. Aucune partie de la population calédonienne ne peut marcher seule sur ce chemin.

Certains pourraient demander, après des années de paix et de croissance économique, « quand les calédoniens seront-ils satisfaits ? ». Les calédoniens ne pourront pas être satisfaits tant qu’ils ne pourront pas se promener partout en Nouvelle Calédonie sans crainte d’être insultés du seul fait de leur ethnie, ils ne pourront pas être satisfaits tant qu’ils n’auront pas la possibilité d’avoir confiance dans leur représentation politique pour ne pas former des alliances contre nature après les élections, ils ne pourront pas être satisfaits tant que des jeunes seront prédestinés dès la naissance à n’avoir aucun avenir, ils ne pourront pas être satisfaits tant que des politiques se serviront de la détresse de ces mêmes jeunes pour les radicaliser et les amener à voter pour eux au lieu de s’occuper d’eux, ils ne pourront pas être satisfaits tant que les politiques au pouvoir travailleront à renforcer la puissance économique de quelques-uns, ils ne pourront pas être satisfaits tant que les politiques au pouvoir continueront à dire leur volonté d’indépendance en public pour dire le contraire en privé.

Non, nous ne sommes pas satisfaits et nous ne pourrons pas l’être tant que nous serons amenés à nous demander s’il y-a un seul parti politique qui mérite vraiment de recevoir notre vote pour ce qu’il fait et non pas pour ce que nous espérons qu’il pourrait faire.
Nous ne pouvons ignorer que beaucoup d’entre nous se sentent perdus de percevoir toute la faiblesse des discours politiques tout en devant se persuader eux-mêmes qu’ils ont tort pour ne pas être amenés à s’inquiéter inutilement pour leur avenir. Nous sommes devenus des vétérans de la désillusion, mais nous devons continuer de croire que ce qui ne nous a pas tués nous a rendus plus forts.

Malgré toutes ces difficultés et ces espoirs déçus, nous devons ensemble faire un rêve. Un rêve qui serait profondément ancré dans la conscience des calédoniens et le legs des accords de Matignon et de Nouméa.
Nous devons faire le rêve qu’un jour la Nouvelle Calédonie se dressera pour dire qu’elle a fait la synthèse de ses identités et qu’elle accepte que les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en droit sur cette terre de parole et de partage. Nous devons faire le rêve que demain nos enfants mangeront tous à la même table et que tous s’y sentiront parfaitement à leur place. Nous devons faire le rêve que les calédoniens de demain ne seront plus jugés sur les actes de ceux qui les ont précédés mais sur leurs actes d’aujourd’hui. Nous devons faire le rêve que notre histoire ne nous serve pas à nous opposer mais à nous éviter de reproduire les erreurs du passé qui nous ont divisés pour mieux nous rassembler.

Nous devons faire ce rêve, car ce rêve est porteur d’espoir. Avec cet espoir, nous pourrons travailler ensemble, prier ensemble, lutter ensemble, aller en prison ensemble, défendre notre liberté ensemble, en sachant qu’un jour cela portera ses fruits.
Et quand cela se produira, quand toutes les peurs auront été vaincues, nous pourrons hâter l’arrivée du jour où blancs et kanak, wallisiens et kanak, vietnamiens et kanak, polynésiens et kanak, métisses et kanak, pourront assumer ensemble leurs erreurs et reconnaître qu’ils sont partenaires dans un avenir qui ne serait pas dessiné que pour une seule légitimité.

(Texte original)

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Magellan est un navigateur. Soucieux de regarder loin à l’horizon pour savoir dans quelle direction aller autant qu’à la verticale de la coque pour éviter les récifs, il observe avec curiosité. Eveillé récemment à la politique par plusieurs tempêtes, il s’interroge sur l’état du navire et sur la meilleure route à prendre. Ouvert à toutes les idées, pragmatique, avec une sensibilité particulière sur les sujets économiques, confiant dans l’équipage mais un peu moins dans la liste des capitaines possibles, il a pris le parti de se donner les moyens d’avoir ses propres opinions… et de les soumettre à la lecture des visiteurs de Calédosphère.