Rock Wamytan ou l’art de parler pour ne rien dire

Le 15 juillet 2013, dans Les Nouvelles Calédoniennes, Rock Wamytan a écrit :

« Comment un kanak peut-il fêter le 14 juillet, fête de la République française, puisqu’au nom de sa devise de liberté, égalité, fraternité, son peuple et son pays ont été soumis, humiliés, souillés ? ».

Devant les réactions suscitées par ses propos, il a répondu :

“Je n’ai rien contre les fêtes républicaines quand ça se passe en France. Quand ça se déroule dans un pays colonisé comme le notre, elles servent entre autre à ce que disait Karl Marx de la religion: « la religion est l’opium du peuple » ! Les fêtes républicaines en Nouvelle Calédonie sont en quelque sorte l’opium du peuple car elles servent à faire oublier ce que la république a fait subir au peuple premier, le peuple kanak. Un peu de recul par rapport à ces farandoles républicaines ferait du bien à l’esprit de discernement. N’est ce pas ?”

Bien sûr, face à la critique, le politicien se défend. Mais se défendre, ce ne doit pas être le simple fait de produire des lignes. C’est présenter un argumentaire cohérent et ayant sens; c’est la grandeur, la solidité, la qualité de l’homme politique qui y sont en jeu. Et là, il y a comme un problème. En effet, nous avons tous vu cette photo de Mr Wamytan lors du défilé du 14 juillet 2011 à Paris, invité à la tribune officielle et serrant la main du Président de la République. Alors en quoi sa réponse est-elle une réponse digne de ce nom, un vrai argument, si on regarde à la fois les paroles et les actes ?

Commençons par le début: “Je n’ai rien contre les fêtes républicaines quand ça se passe en France. Quand ça se déroule dans un pays colonisé comme le notre, elles servent entre autre…” Edifiant ! ou est la différence, ou est la logique de ce positionnement puisqu’il s’est rendu à Paris? Parce que quand il se rend à Paris, Rock Wamytan y va donc en tant que colonisé, en tant qu’homme représentant du peuple soumis, pour célébrer chez le colonisateur même sa puissance, sa grandeur, son amour propre. Il vient donc par sa présence rejoindre une célébration à la gloire du peuple, du pays, qui a colonisé et asservit le sien. Est-ce normal ? Quelle différence cela fait-il pour lui, que ce soit à Nouméa ou à Paris ?

Certains kanaks indépendantistes qui prendraient ses paroles au pied de la lettre, voyant la photo du 14 juillet 2011, pourraient tout logiquement voir dans cela une trahison: un chef des colonisés, invité (logé, nourri) par le colonisateur vient célébrer la fête de la puissance dominatrice, qui a asservit les siens. Et puis, dire tant de mal de la France tout en profitant de ses petits soins et plaisirs, ou est la cohérence entre les paroles et les actes ?

Deuxième argument qui n’en est pas un : “…elles servent entre autre à ce que disait Karl Marx de la religion: « la religion est l’opium du peuple » ! Les fêtes républicaines en Nouvelle Calédonie sont en quelque sorte l’opium du peuple car elles servent à faire oublier ce que la république a fais subir au peuple premier, le peuple kanak.

Belle tentative d’épater le lecteur avec une référence intellectuelle, mais celle-ci est de la poudre aux yeux. Les fêtes républicaines ne sont pas “l’opium du peuple” car elles ne font rien oublier aux kanaks; au contraire elles ravivent leur rancoeur, leur rejet de la France. Dans leur immense majorité, ils ne s’y joignent pas, ni par le coeur ni par l’esprit. Ce deuxième argument est donc une belle contre-vérité. Par contre, si il y a bien “un opium du peuple” ici, c’est bien le discours indépendantiste qui promet monts et merveilles avec l’indépendance. Un discours qui se définit en négatif, puisque, ne pouvant porter de garanties sur le bien être futur du peuple “libéré”, il tente de faire croire qu’il apportera mieux en ressassant indéfiniment un discours passéiste, comme si dénoncer les injustices du passé faisait d’office du discours indépendantiste un projet socialement, économiquement, et démocratiquement fiable qui ne peut apporter que du mieux, par
rapport au présent dans lequel nous vivons bien sûr. Je me garderai bien de dire qui sont les fournisseurs d’opium ici…

Et pour finir, “Un peu de recul par rapport à ces farandoles républicaines ferait du bien à l’esprit de discernement. N’est ce pas ?”
Et bien non Monsieur: il n’y a aucun recul à prendre, aucun discernement à faire, puisque en premier lieu l’argumentaire est nul est non-avenu, puisque, à titre personnel les actes et les paroles se contredisent. Au contraire, c’est bien lui qui devrait prendre un peu de recul devant l’inconsistance de ses arguments, et faire preuve de discernement devant ses erreurs d’appréciation (“opium du peuple”), devant l’incohérence qui lie ses paroles et ses actes.

Que penser de tout cela, que penser du sieur ? incohérence ? fourberie ? agitation ? sans doute un peu des trois. Du Wamytan à son summum: l’homme a voulu faire parler de lui, c’est réussi, car en politique, parler, c’est exister (encore plus ici qu’ailleurs) mas cela n’aura certainement pas eu l’effet escompté de servir la grandeur, la sincérité, la substance de l’homme. Une sorte de fuite en avant dans une rhétorique de non-sens et d’éblouissement De plus, il semble avoir la mémoire sélective et oublier que, en dehors du 14 juillet, les 364 autres jours de l’année la France scolarise, soigne les enfants et forme professionnellement des jeunes adultes kanak pour leur avenir et celui de ce pays. La Nouvelle-Calédonie ne se bâtira pas sur ce discours passéiste rancunier, et n’a pas besoin pour se construire d’hommes politiques qui n’existent que par ce discours — les Kanaks non plus d’ailleurs…

Si on doit mesurer l’intelligence, la consistance, la sincérité d’un homme politique sur ses paroles, on peut dire que cette semaine on a été servis ! Et dire que l’avenir de ce pays risque de tomber dans les mains de politiciens de cette veine; pauvres Calédoniens, pauvre Calédonie. Pour conclure cette triste histoire, je dirais que le Mt Dore aura été pour notre pays un beau vivier de politiciens talentueux; après avoir donné naissance à Tartufe, il nous offre maintenant Scapin. La politique calédonienne est un vrai théâtre, c’est du Molière; elle mériterait même son “Bêbête Show” ou ses “Guignols de l’info”. Une idée de programme pour la future NC9 ?

Mister Eric