La guerre civile en Syrie fera date dans l’Histoire du monde contemporain. Si la Libye et le Mali ont été des cas somme toute banals et classiques, on ne peut pas en dire autant pour la Syrie. D’abord, il y a la surprise voire l’incompréhension devant une mécanique, une “logique” qui semble s’arrêter brutalement; on a aidé les Libyens, on a aidé les Maliens, … on lâche les Syriens. Car ce qui se passe sur la scène internationale, les agitations diplomatiques, confrontations et tensions, mais aussi les atermoiements de politique intérieure dans les pays occidentaux, ouvre une nouvelle page de l’Histoire du monde, particulièrement sur la question du rôle de l’Occident, sa volonté et ses fondements de légitimité pour intervenir dans le monde, dans son rôle qu’il s’est donné de défenseur des causes justes et de la protection des peuples opprimés. Dans notre analyse ci-dessous, nous verrons en cinq étapes que le cas de la guerre civile en Syrie fera date dans l’Histoire et aussi jonction avec de grands changements qui marqueront le passage d’une époque à une autre, feront peut-être la différence entre les 20ème et 21ème siècles.
1- Le peuple américain: échaudé par les mensonges de la Maison Blanche en 2003, mensonges portés par la voix de Colin Powell et sa petite fiole contenant un liquide (qui n’était autre que de l’eau) pour convaincre le monde et parler d’armes chimiques à l’ONU, meurtri dans sa chair par la mort inutile d’environ 4800 de leurs soldats (souvent de très jeunes hommes qui croyaient servir leur pays pour une cause vraie et juste), les Américains ont changé: on ne la leur fait plus. Ils ne veulent plus se battre pour les autres, et ils ne veulent sûrement pas se battre pour des Syriens parmi lesquels certains ont des affinités islamistes. Ils ne veulent plus payer la facture en milliards de dollars, alors que dans des villes pauvres frappées par la crise il n’y a plus d’argent pour les écoles et les services publics. Ils ne veulent plus être le shérif du monde qui doit ensuite porter la responsabilité de ses interventions, les reproches des uns et la détestation des autres. Avec le passage de l’Histoire par la guerre civile en Syrie, un revirement s’est produit dans l’opinion publique américaine, dans la pensée américaine, qui est aussi passée d’une certaine indifférence et apathie à une vigilance et une blessure profonde nées du mensonge. Il y avait les Américains d’avant, il y a désormais les Américains d’après.
2- L’information et le doute: il fut un temps où seuls les professionnels de l’information, exerçant souvent en temps de crise sous le contrôle et dans l’intérêt du pouvoir politique, nous informaient de manière choisie. Or les temps ont changé, les nouvelles technologies sont passées par là; les images amateurs de l’exécution de Kadhafi en octobre 2011 montrent que la circulation de l’information n’est plus le monopole des professionnels, mais des particuliers qui peuvent même les devancer. Elles peuvent aussi être un contre-pouvoir d’information. Force est de constater qu’aujourd’hui, les guerres se livrent aussi sur un autre champ de bataille : le cyberespace et les réseaux sociaux. Dans le contexte d’une guerre, qui est d’abord un champ de bataille politique et idéologique, ce champ de bataille a trouvé son nouveau lieu : le cyberespace. Et il semble bien que cette nouvelle circulation de l’information par les nouvelles technologies ait joué un rôle dans l’opinion publique occidentale, surtout américaine; un moyen par lequel et de manière fortuite les citoyens américains se sont à nouveau intéressés de manière plus réfléchie, approfondie, à l’actualité internationale, et ne sont plus prêts à gober ce que les médias “officiels” leur disent. Bachar El Assad a lancé une opération de communication sur le web; c’était “sa vérité” contre la vérité occidentale. S’il avait pour but de semer le doute dans l’opinion occidentale et ainsi saper à la base et de l’intérieur l’élan et l’assurance des puissances occidentales, le coup est réussi. C’est un effet combiné de ce que nous avons évoqué en première partie, auquel s’ajoute ce deuxième point , information et influence de l’opinion par les nouvelles technologies.
3- L’état du “Fer de Lance” anglo-américain : la première et la deuxième Guerre du Golfe ont été initiées et menées de front par la coalition anglo-américaine. Ceci n’est que le résultat de ce qu’on appelle entre ces deux pays “la relation spéciale USA-Grande Bretagne”, qui s’explique par des liens historiques et culturels évidents, relation spéciale dont les deux premières guerre mondiales ont été le ciment définitif. Mais voilà le “cas syrien”; c’est pour la première fois, une fracture nette et ouverte, une désolidarisation surprenante de l’allié infaillible britannique. Désolidarisation qui a trouvé ses sources dans le régime démocratique même de ces pays, par le refus des parlementaires de soutenir une action militaire, soit par vote dans le cas britannique, soit par refus déjà annoncé chez les élus américains ( alors que dans le bloc rival Russie-Chine, l’opinion publique ou celle des parlementaires compte certainement moins ). Le “Fer de Lance” anglo-américain pris dans un ramollissement à en perdre la face, une ambition guerrière délégitimée de l’intérieur par les opinions publiques hostiles de ces deux pays; par les manifestations de rue aux Etats-Unis ou par le non-soutien des représentants du peuple en Grande-Bretagne. La cyber-communication du régime d’Assad a peut-être contribué — mais partiellement– à cette situation, un double revirement: au niveau des citoyens, au niveau de leurs représentants parlementaires, les deux étant fortement liés par les futurs enjeux électoraux. Enfin, il faut souligner que, en face de la désolidarisation de la Grande-Bretagne, un soutien fort de la France, des maudits Français qui avant se faisaient une fierté de s’opposer à la coalition anglo-américaine, est une situation autant surprenante qu’originale.
4- Obama : un président pris en tenaille ? oui, et de manières multiples. D’abord, il jouit d’un aura ; Prix Nobel de la Paix, le premier président noir des Etats-Unis avait d’abord été élu en 2008 sur un programme hostile à la guerre; il a grandement gagné l’élection contre un camp républicain très va-t-en guerre, incarné par John McCain, qui lui voulait envoyer plus de troupes en Iraq. Ironie du sort, c’est aujourd’hui ce même John McCain qui apporte son soutien à Obama, soutien certainement très embarrassant car il n’est pas pour plaire aux Américains du camp des Démocrates. Ensuite, l’homme de paix est pris en tenaille dans une question purement philosophique : Le Prix Nobel de la Paix peut-il engager un conflit armé — pour protéger des civils ? Inversement, un prix Nobel de la paix peut-il refuser d’agir militairement –et laisser des civils se faire massacrer– parce que son titre d’homme de paix le lui interdit ? Enfin, et partant de ces bases de la problématique multiforme, Obama est pris en tenaille devant l’Histoire tout court et devant l’histoire de l’interventionnisme plus ou moins constitutionnel des présidents américains. Explication : Au cours du 20ème siècle, les présidents ont joué avec les mots pour intervenir militairement sans déclarer la guerre, sans que cela apparaisse comme une guerre. Pour contourner la Constitution et s’affranchir d’un vote du Congrès. Ne pas passer par un vote du Congrès jouait en faveur de l’effet surprise, la Maison Blanche connaissant et comprenant des enjeux que les parlementaires n’étaient peut-être pas aptes à comprendre, ou ne connaissaient pas ou peu; c’est ce qu’on a appelé ” la présidence impériale”. Mais du fait de cette aura dont nous avons parlé, et de la contestation grandissante parmi les citoyens, il semble bien qu’il ne peut se permettre de faire comme certains de ses prédécesseurs l’ont fait. Sans vote et approbation du Congrès, Obama ne peut agir sans détruire cette aura et le mythe que son destin a construit sur sa personne. Le peuple se sentira trompé et déçu de manière irréparable. Il est donc contraint de jouer avec les règles constitutionnelles, et avec une nouvelle règle : le non massif et bruyant des Américains dans les rues de Washington et sur le net. Il en ressort affaibli dans son costume de chef des armées des Etats-Unis et par là-même sur la scène internationale, à la fois dans cette affaire syrienne, et devant l’histoire de la présidence impériale, et sur ce point précis l’Histoire nous dira plus tard si cela aura été à son honneur.
5- La retour de la Russie : on l’a peut-être déjà oublié, mais la première Guerre du Golfe, commencé en janvier 1991, n’a pas que confirmé la capacité des Etats-Unis à intervenir partout dans le monde, de manière rapide et puissante, selon le concept militaire de “projection de puissance”. Elle a aussi montré à l’époque l’incapacité de la Russie encore en ruine de l’URSS, d’en faire autant. Et si on a bonne mémoire on se souvient que la Russie n’avait pratiquement pas son mot à dire à l’époque; il ne comptait presque plus. Puis est venu l’éveil de la Chine, l’Empire du Milieu. Par une certaine affinité historique et idéologique avec son grand voisin le dragon, l’ours blanc russe reprend des forces, et les deux redeviennent en quelque sorte (malgré un désamour temporaire du temps de la guerre froide) des alliés traditionnels solides face au bloc occidental, surtout face au grand aigle américain qui veut encore imposer son ordre. On assiste donc à un retour de la bipolarisation Est-Ouest, à une sorte de nouvelle guerre froide entre les Etats-Unis et la Russie, ou plutôt la “guerre froide du 21ème siècle” avec le bloc Russie-Chine, qui, grâce à l’émergence de ce deuxième pays, semble maintenant être capable d’exercer un vrai contre-pouvoir, et peut -être même prendre le dessus sur l’Occident affaibli de l’intérieur et devenu moins audacieux, plus enclin — ou contraint– à jouer selon les règles constitutionnelles propres à chaque pays, et les règles internationales; ceci se vérifiera dans les temps à venir.
Pour conclure, la guerre civile syrienne fera bien cas à part dans l’Histoire du monde contemporain, surtout dans l’Histoire des conflits “périphériques”, de l’implication et des positions respectives des grandes puissances. Ce conflit aura eu pour effet de bousculer des lignes et des schémas établis dans le jeu politique intérieur américain –et par là-même pesé sur la question de la toute puissance “impériale” du président américain– et donc des Etats-Unis. D’après des spécialistes, la deuxième guerre d’Iraq commencée en 2003 aurait marqué le début de déclin de la puissance américaine; la guerre civile syrienne et ses conséquences amèneraient donc encore plus les choses dans ce sens. Ce conflit aura aussi remis en question les fondements de la relation spéciale avec la Grande-Bretagne, bousculé certaines alliances en Occident et conforté les nouveaux blocs qui sont ses rivaux . Les cinq points qui constituent l’architecture de l’essai ci-dessus sont fortement imbriqués les uns aux autres par des liens de cause à effet, ce qui explique l’ordre dans lequel ils ont été présentés. La guerre civile de Syrie aura donc bien été, pour les Etats-Unis et pour le monde, un cas bien particulier qui aura engendré ses propres effets et apporté des changements dont l’importance n’est peut-être pas encore totalement perçue, et dont la probable irréversibilité viendra du fait qu’ils pourraient s’ancrer dans la durée. Pour finir, il semble évident que dans cette affaire, l’emplacement géographique de la “petite Syrie” ( 185000 km2 ) au coeur du monde arabo-musulman, et aux portes de la sphère d’influence russe ( le régime d’Assad étant proche de Moscou ) permet d’expliquer pour une grande part la tournure des événements.
Mister Eric
lol
Oui je suis conscient de cette horrible évidence : les populations arabes de ces pays qui aspirent à la démocratie –sur le modèle occidental– voient leur mouvement infiltré et volé par les islamistes qui y ont vu leur chance de passer.
Au 21e siècle, les pays musulmans sont entrés dans une “Saint Barthélémy” quotidienne, où les chrétiens papistes et les chrétiens luthériens sont remplacés par les musulmans chiites et sunnites… avec un demi-millénaire de retard….
En effet, l’affaire “Syrie” ne sera surement pas une gloriole des démocraties occidentales !! loin s’en manquera, mais justement, à travers cette affaire ne serait-il pas temps de se poser certaines questions dont celles-ci “A quoi sert donc l’ONU” ? Des réformes de ce “machin” comme se plaisait à l’appeler le Général De Gaulle , ne seraient-elles pas à envisager ? notamment ce fumeux droit de veto ??
Et ce ne sont surement pas les seules réformes qui seraient nécessaires, tiens l’ OTAN aussi, je l’avais presque oublié et portant ……
israel est trés content du fonctionnement de l’onu, des résolutions en pagaille un bras d’honneur en réponse , ..l’irak n’a pas eu cette chance un mensonge une résolution ,un massacre…et on se pose encore des questions sur la légitimité de l’onu….un machin qui garantie l’impunité a certain, le malheur,la désolation pour d’autre.
le pouvoir de certains peuple a en massacrer d’autre est cela la démocratie ?
Pour ce qui est du massacre, le nombre d’Iraquiens tués chez eux par d’autres Iraquiens (ou mercenaires arabes venus régler leurs comptes entre shiites et sunnites) qui posaient des bombes dans les rues de Bagdad tuant des dizaines de personnes chaque fois (et autres actes de violences) est largement supérieur au nombre d’Iraquiens tués par les soldats US.
L’instrumentalisation du “body count” iraquien à la défaveur des Etats-Unis est une escroquerie intellectuelle.
discourt d’oppresseur vainqueur on n’en a déja vu d’autre et ce depuis la nuit des temps
“En effet, l’affaire “Syrie” ne sera surement pas une gloriole des démocraties occidentales !!”
Ah bon, pourquoi ?
Ce serait une gloriole des “démocraties” russe et chinoise, alors ?
Parce que la démocratie russe et chinoise ça existe ???
C’est tout nouveau, ça doit juste sortir je pense.
J’ai écrit “démocraties”, avec des guillemets en forme d’ironie et de dépit.
Il n’y a pour l’instant rien à reprocher à l’Occident face à cette guerre civile syrienne.
Merci beaucoup Franck !
c’est nous qui te remercions. Le problème de la Syrie reste inquiétant à mes yeux
Et le génocide Congolais c’est bon, ça ne t’inquiète pas?
http://youtu.be/NMtgHzXZnIg
Le foutage de gueule de nos démocrassies: http://www.voltairenet.org/article180218.html
Certes mais il ne faut néanmoins pas intervenir, ça serait un deuxième Vietnam.
Trop d’hommes à mobiliser, trop long et trop cher.
A moins que cela ne dérape de trop, cas auquel là oui, il “faudra” intervenir.
Bon ben voilà, j’avais à moitié raison. Le désarmement chimique de la Syrie “devrait” être réglé dans les prochains mois.