Jean-Marie Tjibaou avait, en 1988, ouvert une nouvelle voie aux forces indépendantistes de Nouvelle-Calédonie : celle de donner aux indépendantistes le temps de convaincre les Calédoniens que l’indépendance était le meilleur projet qui soit pour leur pays. Il est curieux, 25 ans plus tard, de constater que ce sont ses propres successeurs qui ont, sciemment ou non, rompu avec sa volonté et choisi de s’enfermer dans une nasse dont on voit mal aujourd’hui comment ils pourraient sortir indemnes.
A la veille des provinciales, pour comprendre l’ensemble des positions et des discours auxquelles nous assistons dans le camp indépendantiste, il est important de revenir sur la stratégie mise en place par l’Union Calédonienne l’année dernière. Tout peut, en effet, se comprendre à l’aune des déclarations du président de l’UC lors de son interview par Nathalie Rougeau le 21 juillet 2013 sur le plateau de NC1ère.
Daniel Goa déclare alors que « l’indépendance est inéluctable » et présente la stratégie de son mouvement et d’une partie du FLNKS. C’est la stratégie Top 2014 qui se compose de trois points :
1. Obtenir la majorité au congrès en gagnant les élections de mai 2014,
2. Mettre ensuite en place une assemblée constituante chargée de préparer le projet indépendantiste,
3. Faire admettre ou proposer (les choses ne sont pas claires à ce niveau-là) ce projet aux Calédoniens.
Les évènements qui se déroulent en ce moment au sein du monde politique calédonien sont la conséquence directe de la mise en œuvre du point 1. C’est donc lui qui sera abordé ici.
En fait, cette volonté d’obtenir la majorité au congrès est sous-tendue par un constat amer que présente Daniel Goa au journal télévisé. Il explique tout d’abord ce soir-là que « Le pari de Jean-Marie Tjibaou c’était de convaincre, et les 22 ans sont passés et politiquement on a pas convaincu » Pour la sensibilité qu’il représente, la voie ouverte par le président Tjibaou les a amenés à une impasse. Pour faire simple, selon lui, aucun électeur calédonien non-indépendantiste n’est devenu indépendantiste en écoutant le discours du FLNKS. L’électorat calédonien “loyaliste” reste donc imperméable à l’idée même d’indépendance. Ce constat est d’ailleurs avéré par les résultats des différentes consultations comme l’avait très justement soulignée cette contribution du Centre pour un Destin Commun. Notons qu’à aucun moment le leader indépendantiste ne se demande pourquoi les Calédoniens en question ne sont pas sensibles à son projet… Mais c’est un autre débat.
Ainsi, Daniel Goa explique donc la manœuvre. Il s’agit d’utiliser habilement la carte électorale et les forces politique en présence sur le territoire. Partant du principe que « La majorité des sièges à gagner c’est dans le Sud » (ceux des îles étant à 100% indépendantistes et il ne reste que 2 sièges non-indépendantiste au sein de l’assemblée de la province Nord) c’est là que le FLNKS va jouer son va-tout. L’élu de l’UC dit tout. Pour gagner des sièges il faut :
a. « Faire inscrire tous nos gens qui sont sur Nouméa ». Pourquoi ? parce que, explique-t-il : «malheureusement ils continuent de voter dans le Nord et dans les îles »,
b. Nommer des référents qui « vont faire du porte à porte ici dans la province sud et qu’ils leur proposent de voter ici dans le sud en leur expliquant la stratégie »
c. « Récupérer des sièges en faisant une seule liste dans le sud »
d. « Voir les groupes politiques, progressistes, nationalistes pour les faire adhérer au projet commun »
Il s’agit donc, pour résumer, de rencontrer le maximum d’électeurs du Nord et des Iles vivants sur Nouméa. De les convaincre de s’inscrire dans le sud. Ensuite, de présenter une seule liste et enfin d’y additionner tous les mouvements politiques favorables à l’indépendance. Quatre objectifs bien distinct et bien précis. Or, les indépendantistes sont aujourd’hui dans une nasse parce que ces quatre objectifs n’ont pas, ou sont en passe, de ne pas être réalisés. L’échec est quasi-total pour l’UC.
En ce qui concerne le « porte-à-porte » on sait que les référents n’ont pas réussi à faire inscrire les électeurs cités et n’en ont de toute façon pas rencontré beaucoup. Cela peut être dû à leur mauvaise organisation ou à leur amateurisme, mais c’est plus vraisemblablement dû à la volonté farouche des électeurs de pouvoir continuer à voter là d’où ils viennent. Un citoyen, quel que soit sa sensibilité, préfère toujours voter « chez lui » même si cela va à l’encontre de la volonté du parti dont il se sent le plus proche. Les électeurs des Iles ou du Nord, bien que vivants ou travaillants sur l’agglomération Nouméenne, souhaitent continuer à voter chez eux. C’est un trait de caractère inhérent à la nature humaine que l’Union Calédonienne a sous-estimé dès le départ : l’attachement aux “racines” est souvent plus fort que l’attachement à une idéologie.
Le troisième objectif, celui de constituer une liste unique, s’oppose – et on le perçoit bien durant ces élections municipales – à l’autre tendance du monde indépendantiste constituée principalement par le Palika. Pour ce mouvement, la voie choisie par Jean-Marie Tjibaou est toujours d’actualité. C’est ce que répète inlassablement leur porte-parole, Charles Washetyne : il cherche à convaincre les électeurs que l’indépendance est une bonne idée. Pour cette raison la possibilité pour les indépendantistes de constituer une seule et unique liste dans le Sud reste à l’heure actuelle grandement hypothétique.
Par corolaire, le quatrième objectif se voit lui aussi particulièrement difficile à mettre en œuvre. Le FLNKS devant d’abord se regrouper avant d’accueillir en son sein d’autres tendances dont les aspirations et les méthodes sont souvent à l’opposé de l’UC ou du Palika. Difficile en effet de penser que le Palika voudra se joindre au Parti Travailliste et que le parti socialiste, un des mouvements progressistes, acceptera de s’unir à l’UC.
Pour toutes ces raisons, lorsque l’UC a compris qu’il n’y aurait pas de nouvelles inscriptions avant la date fatidique du 31/12 (après laquelle aucun changement de lieu de vote n’est possible), le mouvement a dû changer de stratégie. Il fallait sauver cette éventualité selon laquelle ils pourraient « avoir la majorité au congrès en 2014 » comme le promettait Daniel Goa en juillet 2013. Pour cela, la stratégie s’est reposée sur une idée déjà présente mais peu commentée : radier le maximum d’électeurs non-indépendantistes des listes du Sud. Si les indépendantistes ne pouvaient pas gagner les élections, il fallait alors que les non-indépendantistes les perdent. Chez les cadres de l’UC, peu y croyaient mais il fallait faire semblant. Ils en ont fait des tonnes. On connait la suite : c’est un échec.
Voilà donc pourquoi nous avons entendu plusieurs responsables indépendantistes mettre en cause, d’ores et déjà, la sincérité du futur scrutin. Tout simplement parce qu’ils ont échoué l’année dernière à créer les conditions pour prendre la majorité au congrès en mai prochain. Car le scrutin est déjà perdu pour les indépendantistes. Ils n’auront pas cette majorité. Ils préparent donc la suite. Le tout est de savoir s’ils continueront à s’enfermer dans ce dogme. D’autant plus qu’ils ne peuvent pas dire à leur base qu’ils se sont trompés. Ils ne peuvent pas non plus faire comme si de rien n’était. Ils ne peuvent que condamner fermement l’absence de radiation puis aller au casse-pipe. A moins qu’ils choisissent d’écouter les plus radicaux d’entre eux et appellent au Boycott, déjà évoqué par certains extrémistes du Parti travailliste et de la Dynamik Unitaire Sud qui a, elle, tout à perdre lors des futures élections.
Mais les leaders indépendantistes n’en veulent pas de ce Boycott. Le Palika ira. Louis Kotra Uregei veut aller aux élections dans les Iles pour y asseoir son assise électorale et son influence. Roch Wamytan sait qu’il sera élu dans le Sud quoi qu’il arrive. L’UC du Nord veut affronter le Palika de Paul Néaoutyine pour lui ravir – enfin – cette province tant désirée. Alors, ils ne savent pas quoi faire. Ils sont dans une nasse, ils y gesticulent, ils s’y égosillent… et nous tous avec eux.
Il semblerait que nous n’en ayons pas fini avec les manoeuvres pathétiques…
Gilbert Tyuienon s’apprêterait à saisir la justice pour diffamation publique contre JJB avec l’aval de HM…(source: l’Éveil)
Pathétique…
@Mimine: L’arène:)
Si ce que dit l’Eveil est vrai, je serai déçue par JJB que j’aime beaucoup. C’est vrai qu’on ne peut être déçue que par ceux que l’on apprécie…Attendons de voir la suite.
Une analyse très fine et très bien exposée. Certes, les Indépendantistes sont dans une nasse qu’ils se sont fabriquée eux-mêmes. Cette situation n’est pas confortable ni valorisante. Alors, lequel des leaders Loyalistes sera suffisamment fort et intelligent pour les aider à en sortir. Nous avons tous à y gagner. La “future” Nouvelle Calédonie ne pourra vivre que s’il n’y a que des gagnants. Chers politiciens de tout poil… à vos pupitres et au boulot. Quant aux “has been”, nous savons ce que vous savez faire… alors, partez et laissez une chance aux quelques 300.000 Calédoniens !
tu sais que tu me plait mimine? 🙂
Ne me l’écrivez pas trop souvent car mon mari est souvent près de moi. Mais ça me fait très plaisir quand même. J’aime beaucoup la plupart de vos interventions et vous je mets des click . Bonne observation et bonnes remarques.