Je m’appelle Gabriel MONTEAPO Te`ein , je suis d’ici, de cette vallée de PONERIHOUEN, de Pô.
DESIRE : tu as fait partie des militants de la première heure, quel était l’état d’esprit à cette époque ? le mouvement du Palika, c’était quoi ?
GABY: C’était l’époque du boom, la situation était vraiment dure pour les Kanak. Au niveau statutaire c’est l’autonomie interne qui n’est pas satisfaite depuis des années que les vieux revendiquaient. Nous avons pris le train au moment où toutes les compétences de la Nouvelle Calédonie ont été retirée avec la suppression de la Loi Cadre en 63, la loi Jacquinot qui a mis fin à la Loi Cadre. La loi Cadre c’était déjà une espèce d’autonomie de gestion ; Il faut savoir qu’avec la Loi Cadre, le pays est autonome en matière de fiscalité, au niveau des mines et les communes dépendaient du Territoire. C’est important d’avoir une certaine autonomie au niveau de l’enseignement, au niveau de la Santé, au niveau des ressources financières, l’économie rurale, il y avait tous ces vieux, le vieux MATAYO, Henri WETTA, le vieux PIDJOT, qui avaient un certains nombre de ministère. La France a donc cassé la Loi Cadre, à travers la Loi Jacquinot, c’était lié quand même au contexte du retrait de la France de l’Algérie et pour pouvoir refaire des Essais nucléaires à Mororoua et tout ça. Ce qui fait que la France en prenant pied dans le Pacifique a dominé Tahiti et notre pays et en même temps le nickel était devenu un minerai stratégique. A partir de là toutes les compétences ont été enlevées à partir de 1969 , les lois BILLOTE et nous on est arrivé dans ce contexte là, ce contexte où on n’était rien du tout quoi, plus rien du tout ! La représentation politique qui commençait à considérer l’importance de la gestion par les enfants du pays était retirée par la France 69 :70. L’émergence des Foulards Rouges, la Thèse d’Apollinaire ATABA puis nous on arrive dedans, les étudiants qui arrivions de France, la situation au pays, où on est des choses nous les Kanak, on est pas des êtres humains, on est des « choses ». Puis il y a cette revendication qu’on est pas des « Gaulois » et ainsi de suite, on a une identité, on a une terre et qu’on refuse d’être tout le temps dominés, colonisé, qu’on nous donne simplement des agrandissement de réserves, on refuse tout ça, la négation de notre identité, de notre peuple. Et puis, il y a le refus de reconnaître la capacité de nos élus à gérer leur propre pays. C’’est dans ce contexte que nous nous sommes révoltés. Avec les étudiants qui revenaient de Paris, les étudiants : Elie POIGOUNE, Déwé GORODEY, Hnaisseline, moi aussi j’étais en France au moment des évènements de Mai 1968, on est trempé dans cette ambiance de Ché GUEVARA, de la lutte en Afrique, le Vietnam, tout ça, donc on se dit qu’on peut faire comme eux. Alors on a commencé, mais c’était pas évident. C’était la nuit pour nous et on a essayé à travers cette nuit là de trouver des instruments. Ils ont créé les Foulards Rouges, nous on a créé le groupe 1878, et on s’est dit il y a la thèse d’ATABA, il y a ATAI qui a commencé, on s’est dit qu’on va créé le groupe 1878 en référence à ce vieux qui s’est révolté contre les vols de Terres, au piétinement des champs de taros et d’ignames, le bétail qui avançait au détriment de la culture kanak, le vieux s’est mis debout. ATAI est l’objet de la thèse d’ATABA, il s’est référé à ATAI comme archétype , comme personnalité de l’identité kanak, historique de notre peuple et on part sur cette référence. Il y en a qui se référent à Mao Tse Toung, d’autres au Général de Gaulle, nous on se réfère à ATAI.
DESIRE: Comment s’est passée la création du groupe 1878 ?
GABY : Eh bien, j’ai été contacté par Papa Kelen, Poindë GORODE, ils s’étaient vus un peu comme ça avec les familles MEINDU de Goa, les familles de Canala, et lui et le grand père POIGOUNE élie , il faut qu’on fasse quelque chose. Hnaisseline a réagi, qu’est ce qui faut qu’on fasse sur la Grande Terre. Moi je travaillais à l’hôpital, j’étais infirmier. Et il est venu me voir « Aô viens, on a besoin de toi, il y a ta tante Déwé qui est en bas – c’était Déwé – et puis il y a Aô. On est descendu sur la place et on a discuté, on a décidé de créer le groupe 1878 et c’est à la suite de ça que je suis parti voir les vieux. J’ai pris un bout d’étoffe, je suis parti voir le vieux POADOUY Pierre, le vieux AYAWA Eugène, AYAWA Hilarion, le vieux GOYETTA, chef de Galilée à Amoa POINDIMIE, le vieux Chanene Jean –Marie ; c’est les vieux de l’UICALO qui se préparaient à aller à Drueulu en 1974, on leur a présenté la coutume « voilà la coutume, nous avons décidé avec aô Elie, tantine Déwé et puis les autres de créer le groupe 1878, voilà la coutume pour vous dire qu’on pense qu’il faut faire ça ».Et tous ces vieux là, ils l’ont acceptée. Ils disaient que la revendication des Terres, la revendication de l’identité kanak c’était le vieux ATAI qui a été l’un des personnages historiques kanak à être allé jusqu’au bout de ça, de donner sa vie, ils nous ont encouragé à le faire. Ensuite, à l’époque il y avait les Foulards Rouges créés en 1969, il y a l’UJC, l’Union des Jeunesses Calédoniennes. Hnaisseline dès qu’il est rentré au pays il s’est révolté, mais Elie lui il est passé par l’Afrique, je crois qu’il a séjourné deux ans à Tunis puis après il est rentré et il a encore pris le temps de prendre la température et après, au bout d’un ou deux ans c’est là qu’il nous a contactés. Puis Déwé aussi est rentrée, de la Faculté de Lettres de Montpellier. On se disait qu’est ce qu’on peut faire sur la Grande Terre pour refuser ce système qui diminue notre identité , qui nous considère comme des Gaulois et tout ça. Il a agi, il a amplifié ce que Hnaisseline a commencé, voila c’était ça le truc !
DESIRE : Quel était le fondement de l’apparition du groupe 1878
GABY : c’était la Terre, parce que sur la Grande Terre, le problème de Kanaky c’est qu’il n’y a pas eu de colonisation aux Iles. Le problème qui se pose d’abord à nous, c’est qu’il faut récupérer nos terres. Aux Iles, Hnaisseline il est allé pour dire on a une identité autre que celle des Gaulois et des Français. Sur la Grande Terre, il faut d’abord qu’on récupère nos terres, puisque notre identité est fondée sur la terre. Mais aux Iles il n’y a pas eu de vols de terre et tant mieux qu’ils n’ont pas subi les vols de terre, mais la colonisation s’est exercée autrement et a détruit une identité, l’identité kanak. Le groupe 1878 a voulu prolonger la revendication d’ ATABA on prône d’abord la revendication des terres, sans conditions. Après cela, tu peux fonder ton identité. Je ne sais pas si on peut avoir une identité si on n’a pas de terres.
DESIRE: Et comment ça c’est passé avec les gens qui étaient là ?
GABY :Ouh la, la, on était haïs, méprisés, les kanak…la mentalité de l’époque, il n’y en avait que quelques uns qui étaient arrivés au bac, OUNOU, quelques uns qui ont réussi leurs études, mais d’autres comme ATTITI qui n’a pas pu terminer ses études et qui est mort à Tunis, à cette époque là on était surveillés de près pour pouvoir affirmer qu’on était des bêtes, que nous n’avions pas d’intelligence, donc c’était pas possible, c’est quelqu’un qui nous a mis cette idée de révolte dans la tête : c’était ça la réaction du système colonial, puisque nous on arrivait au CM2 et après on n’allait pas plus loin. C’est ce qu’on avait dit à Tantine DEWE : « Mme GORODE vous ne pouvez pas continuer vos études, vous devez aller à l’école Normale pour devenir enseignante ». Ca c’était la mentalité jusque dans les années soixante dix. Et quand il y a eu cette révolte des Foulards Rouges et nous, toute la réaction coloniale, pas en France, mais ici dans la colonie c’est que comment ça se fait que ces « sauvages là », « ces gens qui ne savent rien » se révoltent ? Mais c’est certainement ceux qui sont allés faire des études qui leur ont mis ça dans la tête. C’était ça à l’époque… Mais on est quand même dotés d’un cerveau quand on vient au monde, c’est comme ça, mais pour eux c’était pas possible qu’on raisonne. C’est pas possible qu’on ne soient pas contents dans le système et puis au niveau de notre peuple, il y a cette aliénation coloniale qui fait que, je dis pas tout le monde, mais ce système colonial reçoit un certain écho. Pas les vieux comme le vieux MATAYO , le vieux Reybas, même si ils savaient qu’il y avait une révolte, ils nous ont soutenus parce que à partir de leur existence de leur vécu du statut de l’indigénat, puis comment ces institutions, les statuts se sont succédés sans changer vraiment l’état des kanak, ils ont eu cette connaissance en tant qu’expérimentateurs de la situation coloniale de nos vieux. Ils ont compris tout de suite que les jeunes vont faire le truc. C’est un peu les catéchistes, les pasteurs, les gens qui sont un peu les leaders au niveau de la tribu, ils ont compris. Comme disait le vieux Reybas, même s’il est du RPCR, il a admis 1984, il a dit « c’est normal, c’est toujours les caldoches qui prennent des femmes kanak, mais c’est jamais les kanak qui prennent des femmes blanches » Il a dit ça une fois. Au niveau de la majorité des kanak, on était dans l’autonomie, il fallait respecter un certain cadre. Si certains vieux étaient lucides, sensés, qui avaient une analyse historique qui ont eu la charge du peuple en tant que catéchistes, en tant que pasteurs, en tant qu’élus,donc ils savent c’est quoi le problème ? c’est ça l’expérience, la conscience c’est ça parce qu’il ont eu la responsabilité donc tu vas où va ton peuple , mais la majorité, et à ce moment là l’école de Jules Ferry c’était à fonds, nous on ne pouvait pas sortir du cadre de l’autonomie, si on se révoltait on était des extrémistes, des communistes, voilà , on est manipulés par le Parti Communistes, par Mao, j’sais pas qui. Voilà.
DESIRE : On va parler de la création, comment vous avez organisé tout ça au niveau des groupes ?
GABY : C’est surtout partager avec notre peuple, partager avec les gens dans les tribus, partout. Ce qui nous préoccupait à ce moment c’est que nous n’étions rien du tout, dans un premier temps les Foulards Rouges avaient commencé, ils ont sorti un journal qui s’appelait Reveil Kanak, ils ont commencé à se manifester à travers la ville, d’une façon ou d’une autre pour pouvoir faire comprendre nos idées aux gens, au peuple kanak surtout. Nous étions un petit noyau donc il fallait essayer de partager nos préoccupations. Donc on s’est organisé pour pouvoir tourner sur la Grande Terre, donc nous avons sorti un premier tract pour expliquer ce qu’était le Groupe 1878. Je pense que ce tract là Elie Déwé doivent l’avoir, moi je l’ai dans ma malle… Il doit être daté du 4 août ou septembre 1974 et nous avons signé avec Elie, Dewé, Kotaiba et Gorodé Poindé et moi. Voila, on a commencé par un tract, pour partager nos idées, qu’est ce qu’on veut : ATAI, le retour des terres sans conditions et tout ça. Puis il y a eu des manifestations à Nouméa, vis-à-vis du 24 septembre, pour donner une position vis-à-vis du festival de Jean-Marie TJIBAOU, c’est-à-dire que OK pour la culture kanak mais d’abord il faut restituer nos terres et il ne faut pas que la culture kanak devienne une marchandise ou un folklore, voila c’était ça, nos terres, notre culture. Le 24 septembre on a commencé à dire que ce jour là, a commencé le deuil kanak.
Ca c’était nos premiers moyens, on est allé en prison, trois mois, quatre mois, six mois. On est ressorti. Et au fur et à mesure on a affiné nos actions, par rapport à ce qu’on rencontrait en face. On a pas sorti un journal , on s’est pas organisé en parti, c’est au fur et à mesure de la confrontation avec le système colonial en place , de l’ambiance qu’il y avait pour ou contre nous qu’on sortait mûrs et ceux qui sont revenus comme Elie, comme tantine Déwé des études, c’était important pour nous car ils avaient l’expérience des moyens des partis de lutte contre le système en place, contre le système capitaliste en France. Cette expérience qu’ils ont acquise en tant qu’intellectuels kanak de décorticage, de compréhension, parce qu’ils maîtrisaient la langue du système, ils nous ont aidé à analyser ce système et à trouver les moyens pour l’affronter sur son propre terrain. Puis nous avons été en prison puis nous sommes revenus et en février nous avons dit que nous étions pour l’indépendance kanak. Février 1975, c’est à la suite de ça que nous avons décidé de créer un journal des nouvelles du groupe 1878 qui s’appelle « andi mê do » dont j’ai été le premier directeur. Ensuite c’est brénia kotoyaba « andi » monnaie kanak en paici et « do » c’est la terre en langue Xaracuu. Donc il y a eu ces tracts, ce journal. En février 75 on a parlé d’indépendance, donc tout le monde ? il adhère,le groupe multiracial ensuite il y a eu les foulards rouges donc on est partis sur l’indépendance kanak donc il fallait amplifier les moyens créer un journal contacter les kanak ancrer plus les groupes de loyaltiens chacun chez eux, Atsai à Ouvéa, Ciciqadri à Lifou et Wayagi à Maré donc à partir de là où on a nos racines on va aller vers quelque chose. C’est-à-dire qu’au fur et à mesure qu’on a avanceé avec l’aide de nos intellectuels qui sont revenus de France on a créé nos propres moyens, les tracts, l’information dans les tribus, le journal… on a pas dit parti encore mais on allait vers ça donc en 1975, on a contacté les partis, l’UC, l’Union multiraciale pour créer le parti unique kanak suite au refus de Giscard, en 1975, de recevoir la délégation kanak qui demandait l’autonomie, sous l’égide de Yann Céléné Urégei Président de l’Assemblée Territoriale, sont revenus donc on a dit par rapport à ce que disait Chirac département ou indépendance nous on a dit c’est indépendance net. On a travaillé jusque vers octobre mais ça n’a pas marché et suite à la faillite du projet de parti unique kanak avec l’UC et l’Union Multiraciale, ça nous a obligé à aller vers cette idée de créer le parti de libération kanak pour défendre nos idées du terrain jusqu’aux institutions parce qu’il risquait d’y avoir des divergences et une récupération du mot d’ordre d’indépendance dans le cadre du système. Ça c’était en 75- 76 et l’Union Calédonienne ne s’est prononcé pour l’indépendance qu’en 77. il fallait qu’on fasse positionner les élus kanak sur l’indépendance en 75 à travers le comité de coordination pour l’indépendance kanak à la Conception puis aller vers un parti unique et Chirac avait été très clair vous voulez la départementalisation ou vous voulez l’indépenance, alors prenez l’indépendance. Au mois de décembre on allait créer une espèce de structure pour réfléchir sur l’indépendance. Puis il y a eu l’assassinat de Kamouda par Bléret ça a précipité le truc, c’est le système qui nous testait mais on a eu une bonne réaction. Donc à partir de ce moment on avait déjà les tracts, le journal andi mê do et on avait les tournées dans les tribus on allait rentrer dans une structure provisoire pour créer le parti de libération kanak qui finalement est né en mai 1976 à Amoa Poindimié. C’est-à-dire que les moyens on s’est donné les moyens par rapport à la confrontation avec le système. Et par rapport aux ressources que nous nous sommes donnés nous les kanak il y a ceux qui sont restés ici au pays et nos frères et sœurs qui sont partis faire des études et qui ont acquis des outils intellectuels ils ont eu ces expériences des partis politiques en France, lutte au Vietnam en Afrique en Amérique latine c’est un peu dans cette forêt du monde et du pays qu’on a cherché des ressources ou leviers qui puissent nous permettre de faire face à ce système. Puis quant il y a eu les élus en 1977 on a demandé qu’ils cotisent à 50%, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui je crois…
Désiré : En 1974, lors de la création du groupe 1878, vous avez organisé un meeting, comment est-ce que cela s’est passé ?
Gaby : La police est venu voir, elle est venue pour nous disperser, parce que le groupe 1878 n’était pas un groupe déclaré en tant qu’association de loi 1901. Il faut se dire qu’on n’a jamais voulu que le groupe 1878 soit intégré au système, jusqu’à maintenant, il est toujours resté en dehors du système, de l’ordre colonial. Il faut savoir que pour des manifestations sur la voie publique, il faut une autorisation. Qui es-tu ? par rapport à la République… Alors on nous a foutu dehors… De même que le 24 septembre 1974, on a pas demandé l’autorisation, on est allés s’exprimer pour dire que « nous existons » mais les normes de la République c’est que toutes les manifestations il faut demander les autorisations, jusqu’à ce qu’on devienne parti politique on ne demandait pas les autorisations, on cherchait un peu à faire astiquer… c’était comme ça parce qu’on était convaincu d’être des êtres humains, d’être d’ici, mais la loi c’était pas ça, pour les Droits de l’Homme, il faut demander l’autorisation à la Mairie, au Haut Commissaire, aux responsable de la Sécurité. Sinon les forces de l’ordre viennent, après les sommations on se fait vider, on se fait matraquer quoi…
Désiré : Et le sit-in devant le tribunal pour Henri Bailly et Elie POIGOUNE ?
Gaby : Il y a eu la manif du 24 septembre pour protester sur le deuil kanak et le début de la colonisation à Magenta, donc il y a eu la charge des paras et deux personnes ont été ramassées par la police et conduites en prison : Elie POIGOUNE et Henri BAILLY. Henri BAILLY faisait partie des Foulards Rouges. Ca faisait partie de ces actions communes qu’on essayait de mener pour arriver à cette idée de construire ensemble quelque chose nous et les Iles Loyauté et tout ça là. Ils se sont fait attraper et le 25 septembre, il y a eu le jugement au tribunal . Nous avons décidé avec l’UJC , l’Union des Jeunesses Calédoniennes, les Foulards Rouges et Nous d’aller faire un sit-in au Tribunal. On est resté, le tribunal a décidé d’ajourner d’une semaine le verdict et nous nous avons décidé d’occuper le tribunal jusqu’à ce qu’il y ait le rendu du verdict. Il faut quand même voir que la justice c’est quand même une des dernières compétences régaliennes de la République… Alors occuper un Tribunal de la République , c’est un peu comme si on crache à la figure de Chirac, quoi…Ils ont fait trois sommations et ils nous ont vidé, ils nous ont chopé, on était douze, des militants de l’UJC , du groupe 1878 et des militants de l’Union Pacifiste, Suzanne OUNEI des Foulards Rouges.
Désiré : Après il y a eu autre chose avec Déwé et Annette Mindia qui sont allées réclamer leurs banderoles au commissariat…
Gaby : Oui, on est sortis de prisons et ils sont allés réclamer vers le 16 octobre devant la Police, leurs banderoles et comme on ne les prenait pas en compte, ils ont brûlé un drapeau français, ils se sont fait choper, parce que c’est quand même le drapeau de la République… Je ne sais pas si elles ont été condamnées, peut être elles ont été relâchées plus tard. Après, c’est plus tard en octobre, je crois, il y a Elie, Dewé et ma frangine, ils ont commencé à peindre tous les monuments sur la Côte est en écrivant « Morts pour rien », ils se sont fait choper à Poanandou, juste avant Koé, « allez messieurs, au Camp-est… »
Désiré : Vers le 20 octobre il y a eu une tournée d’information à Touho, comment est ce que ça s’est passé ?
Gaby : C’est-à-dire que quand on est ressorti de prison, nous on a continué, mais Déwé, Elie et la frangine sont restés en prison. On a continué avec le vieux BOUILLANT, il y avait Sylvain NEA avec nous à l’époque, Abel NEA, Edmond KOATAIBA. A Nouméa nous avons trouvé une voiture, on a demandé aux gens de cotiser et on est parti pour expliquer c’est quoi, d’ici jusqu’à Touho. On est parti expliquer ce qu’on veut, pourquoi on est partis en prison, on explique pour nos terres, on explique qu’on a une identité, c’était les balbutiement du discours nationaliste. C’était pour ne pas isoler Poigoune et les autres et partager avec les gens ce qu’on avait comme idées.
Corinne : Il y a eu aussi des grèves de la faim…
Gaby : Oui, en 1974, il y a eu une sacrée mobilisation. Partout on était soutenus, l’Eglise Evangélique, tout le monde nous soutenait et je sais que il y avait un comité de soutien, le Président du Comité de soutien c’était le maire de Canala : TUYENON. Des gens qui ont fait des études et qui sont en prison, des gens qui critiquent le 24 septembre, qui revendiquent les terres, les gens veulent savoir ce qui se passe, pourquoi ils font ça ? Et nous on tourne, la radio en parle. C’était un peu comme un coup de tonnerre dans cette léthargie coloniale. Ca a fait sauter pas mal de tabous, des choses qui étaient cachées…
Désiré : En 1975, avec le discours d’Olivier Stirn qui parle du FROLIKA, qu’est-ce que c’est le FROLIKA ?
Gaby : Le FROLIKA, moi je ne sais pas qui a fait ça, c’est un groupe qui avait posé des bombes à l’Assemblée Territoriale. C’était arrivé là à cette époque, on a frôlé le terrorisme. On réclamait nos Terres sans conditions, le retour de nos terres, et Stirn devait prononcer un discours à l’Assemblée Territoiriale pour parler de son statut, c’était la France qui essayait de réagir, parceque depuis 1969 ça bougeait, la France essayait de revisser quelques boulons pour pas que les kanak débordent trop, pour que la Calédonie reste dans le cadre français, c’était ça le statut Stirn, je ne me souviens plus s’il a créé le poste de 2° député…
Désiré : Et en 75, c’est là où vous avez décidé de lutter pour un objectif politique, la lutte pour l’indépendance, comment ça s’est passé ?
Gaby : C’était en février… Quand Elie et tantine sont sortis, nous nous sommes rendus à l’ancien foyer de l’UICALO, au faubourg Blanchot et c’est là qu’on a tenu une réunion. On avait eu une discussion avant et on a demandé à Elie d’expliquer. On est partis du fait que Quand on dit que les terres doivent nous revenir sans conditions, quand on dit qu’on veut être reconnu en tant que peuple, qu’on ne veut plus être manipulés et tout ça , ça suppose donc qu’il faut être indépendant. On revendique les terres, tout le pays, ça veut dire qu’on revendique l’indépendance. Et l’indépendance ça doit être une indépendance kanak, qui doit porter l’identité de ce pays, l’identité kanak. C’est une indépendance qui ne refuse pas ceux qui veulent rester au pays, et c’est une indépendance kanak qui se méfie de deux autres indépendances : parce que les gens voudront avoir leur indépendance un jour, une indépendance à la Rhodésienne, c’est-à-dire avec les Blancs à la tête, nous on voulait éviter cette indépendance là. Il y avait cette menace à travers le plan MESSMER qui consistait à noyer notre peuple par l’immigration. Donc les Européens voudront peut-être un jour l’indépendance mais c’est eux qui continueront à diriger le pays, voila. L’autre indépendance c’est une indépendance kanak, mais pas avec des fantoches kanak au service du système. L’indépendance qui avait été annoncée en février 75, c’était une indépendance qui respectait l’indigène du pays, mais sans rejeter les autres. Sans aller dans tout le contenu, tout ce qui est économique, mais il y avait ces verrous là. Pas d’indépendance à la rhodésienne, pas avec des fantoches kanak, mais une indépendance qui respecte l’identité kanak, de l’homme du pays, voilà !
Désiré : Après, il y a eu un message international….
Gaby : C’est-à-dire que à ce moment là, on a vu qu’on se faisait emprisonner, avec d’autres organisation comme l’UJC l’Union des Jeunesses Calédoniennes , qui adhéraient à ce qu’on disait, ensuite il y avait l’Union Pacifiste ils sont contre les guerre, contre le nucléaire, contre les budget militaires, pour le désarmement… Donc au niveau du pays on était pas complètement isolé, une partie progressiste chez les Européens était avec nous les Foulards Rouges et le Groupe 1878. Et c’est à travers l’Union Pacifiste qui participait depuis de nombreuses années à des réunions dans la Région pour un Pacifique dénucléarisé, tous ceux qui étaient contre les essais nucléaires à Mororua. C’est eux qui ont donné un billet à Déwé pour aller parler à l’extérieur. Là bas, ils se sont retrouvés et le problème du nucléaire dans le Pacifique, c’est un problème qui est posé par l’impérialisme français dans le Pacifique et sur les peuples nouvellement indépendants du Pacifique. Ils se sont dit au niveau du Pacifique qu’ils devaient faire une délégation à l’ONU, car c’était un problème de domination de l’Occident, des impérialisme européens et la bombe en fait partie. C’est comme ça que c’est parti, grâce à l’ouverture de l’Union Pacifiste et puis Déwé est partie devant le Comité des 24, elle a exposé le problème ici, elle a aussi parlé du problème des Mariannes et des essais nucléaires en Polynésie. C’était au mois de juin 75 et c’est vers cette époque qu’on sorti notre journal et qu’on va créé le comité de coordination pour l’indépendance kanak. C’était un petit peu avant le festival Mélanésia 2000…
Désiré : Alors, parlons en du festival Mélanésia 2000…
Gaby : A ce moment là c’était surtout les groupes 1878 et les Foulards Rouges. Ils avaient eu des entrevues avec Jean-Marie et il y avait un certain nombre de points sur lesquels ont étaient pas d’accord, notamment, la folklorisation, la commercialisation de la culture. Et puis nous on ne voulait pas qu’on deviennent, un peu comme les esclaves de Rome quoi. On voulait lier le festival, la libération culturelle avec la libération de la terre kanak. A ce moment là l’analyse de TJIBAOU et notre analyse qui allaient dans le même sens, on n’avait pas encore approfondi notre analyse pour dire que finalement c’était deux aspects d’un même machin…J’avais expliqué que quand on est allé voir Jean-Marie, pour supprimer les Miss, eh bien, ils ont accepté et puis quand on s’est réuni à la Conception dans le comité de coordination et on lui a dit que comme Chirac ne voulait pas donner l’autonomie et qu’il nous met devant l’alternative « Indépendance ou départementalisation » , il vaut mieux qu’on supprime le festival. Jean Marie a dit « non », « je ne peux pas arrêter, parceque je suis allé dans les tribus et j’ai fait circuler le tabac », mais sur le choix indépendance il était d’accord. Voilà, c’est comme ça qu’on discuté. Ca n’est pas sorti, nous on nous a présenté comme les anti-festival, mais il y a eu tout un temps de discussion avec Jean-Marie pour s’entendre sur ce qu’on fait. Voila c’est ça. Nous on était radical, on voulait récupérer nos terres, mais lui aussi, il savait ce qu’il voulait, déjà il était parti en tant que prêtre, il avait déjà une expérience au niveau des gens, il est parti chercher des outils, avec des études, c’était déjà dans une stratégie, mais nous on ne savait pas ça, à cette époque là, nous on était vraiment révoltés. Tout ce qui nous semblait ambigu, et bien on était contre et ce qui est bien c’est qu’on allait le dire. Et lui, il a accepté, Jean-MARIE c’est quand même les descendants de ceux qui sont morts en 1917, c’est pas n’importe qui, on va pas lui apprendre la lutte aussi. Donc c’était ça. Maintenant, tout le monde reconnaît que ce qu’on faisait et ce que faisait Jean-MARIE c’était les mêmes pans d’une même lutte et après on s’est retrouvés dans le FLNKS.
Désiré : Après il y a eu la création du BPIK, pour préparer la création du Palika ?
Gaby : c’était le bureau pour l’Indépendance Kanak. On essayait de voir ce qu’on avait comme ressources, comment on voyait le système, tenir compte de l’expérience des analyses des universitaires. Compte tenu des luttes de Che Guevara, des luttes en Afrique, du Vietnam, de l’Algérie, tout ça. Qu’est ce qu’on pouvait en tirer en tant que sociologue, mathématicien, intellectuel kanak et qui pourrait nous servir ici, en termes d’organisation de la lutte. C’est un peu toutes ces ressources entre les étudiants qui revenaient de France et nous qui avions l’expérience du terrain qu’on a créé ce Bureau pour l’Indépendance Kanak pour créer un parti politique, car il y avait aussi le danger d’être récupérer au niveau de nos idées. Le comité de coordination pour l’indépendance kanak n’a pas abouti à la création du parti unique kanak et on risquait de se fourvoyer dans les Institutions et de perdre le radicalisme de notre revendication dans le système, le système il est très fort, on l’a vu en Afrique, au Vietnam, on va pas lui apprendre à faire la grimace à ce système là. Donc on a préféré s’affirmer.
Désiré : Au lancement du Parti, à partir de quelle démarche politique a été pensée la lutte du Palika ?
Gaby : Quand on regarde avec la distance, à présent on est dans le cadre des trente années d’existence du Palika, on s’aperçoit que en fait, il y a eu une première réflexion, quand on commence à se révolter, on fait parce que on est étudiants on est d’ici on dit déjà on fait un tract puis ensuite on veut donner une information à travers un journal le réveil kanak pour les foulards rouges andi mê dô ou les nouvelles indigènes pour du groupe 1978 et on s’aperçoit qu’il faut plus de contenus plus d’épaisseur à ce qu’on donne aux gens qu’on parte avec eux arriver à les mobiliser à se mobiliser ensemble, créer un mouvement, je crois qu’on a ça, on a l’expérience qu’on a individuellement et puis dans la société et puis on a cet apport analytique de nos universitaires qui sont allés faire des études en France. Que ce soit JM Tjibaou, que se soit Elie Poigoune ou tantine Déwé G ou Nidoish Naisseline qui ont affûté leur réflexion au niveau universitaire puis avec l’expérience qui se passait en Europe et dans le monde c’est tout ça que l’on a mis ensemble. Il y a deux choses que l’on doit mettre au congrès d’Amoa, d’abord nos propres valeurs en tant que société une conception du monde qui est autre, en tant qu’indigènes kanak en tant qu’autochtones kanak on tire notre idéologie de là dedans. Solidarité, partage, échange personne n’est laissé au bord de la route, dans la société kanak l’hospitalité , la langue, toute cette richesse, la connaissance du monde, la pratique, la conception du monde kanak…ça on peut la ressource le trésor du patrimoine kanak. Si on regarde à travers les médias et les apports des étudiants kanak on s’aperçoit qu’il y a d’autres expériences du monde. Comment les autres peuples ont lutté pour arriver à l’indépendance notamment le fln vietnamien avec Hochi min ou Afrique avec ceux que s’y sont battus ou d’autres peuples ou en Amérique Latine avec le Ché par rapport à des situations de domination, d’exploitation et d’oppression par l’impérialisme et les colonialismes. Donc c’est là qu’on a dit que l’outil scientifique marxiste peut nous servir puisqu’il a servi à comme instrument de libération du peuple vietnamien. Dans cette nuit coloniale où nous en tant que descendants d’Atai ou descendants de nos ancêtres qui ont fait l’Uicalo l’union calédonienne par rapport à ce blocage qui a été fait par la France du retrait des compétences, la création de Murorua la décision de faire du minerai du nickel un minerai stratégique le nickel qu’est-ce qu’on va chercher là dedans. D’abord nos propres ressources dans le patrimoine kanak et puis dans le champ mondial l’outil marxiste c’est ça qui a fait qu’on s’est tourné vers ces deux choses.
Désiré :Comment ç’est organisée l’éducation politique auprès des militants ?
Gaby: Nous avons commencé au niveau du groupe 78 puis ensuite au niveau du Palika à faire des réunions entre nous pour dire sur quel thème, la question des terres, l’indigénat, les mines, l’enseignement quelle réflexion on amène dessus. Dans un premier temps on a réfléchi et on a sorti des documents sous forme de tracts pour partager avec les gens, ce qui fait qu’on a une base commune pour s’adresser aux gens.
Désire : Comment est-ce que vous étiez organisés ?
Gaby : au niveau du Palika nous avons commencé par un groupe de réflexion sur le marxisme et les premiers livres sur lequel on s’est basé c’est Paul Itser, le matérialisme, le marxisme qui explique les différentes conception du monde, le spiritualisme, le matérialisme, le marxisme etc… qu’est-ce qui tire chacun d’entre nous pour qu’il soit quelqu’un. C’est les réflexions du groupe Palika. C’était surtout des réflexions sur le nationalisme pur, la référence à ATAI et tout ça : comment devenir militant, Comment ATAI a fait, on a regardé leurs vie et on en tire des leçons. Au Palika, c’est ce groupe de réflexion de base marxiste qui à partir de là a commencé à expliquer le marxisme, les conceptions marxistes, à quoi ça sert… Les Vietnamiens s’en sont servis… Avec des Ho là, parceque comme on est chrétiens on ne doit pas provoquer des clashes comme ça. Ensuite, Paul NEAOUTYINE est revenu, le cousin, Président de la Province Nord, maire de Poindimié et lui il a réfléchi avec cet outil pour analyser le nickel et tout ça et il nous a enrichi. Il nous a montré que le marxisme permettait d’analyser comment l’homme est exploité dans un système déterminé, comment une partie de son travail, comment une partie de la plus value est récupérée par le capitaliste, donc c’est à partir de là que s’organise la lutte des classes. Il nous a expliqué comment la plus value est créée par le travail : Sur huit heures, tu es payé deux heures, et ainsi de suite, voilà comment ça se passe. Et nous à Ponérihouen on a adapté la chose, parcequ’après, il a fallu que chacun reparte dans sa Section de Base pour expliquer aux gens, il fallait se mettre au niveau des gens pour faire comprendre l’outil marxiste, cet instrument d’analyse. Et ainsi à Ponérihouen on est parti sur l’analyse de la Société Ballande qui exploite les gens au niveua du café , on est parti sur ça : la touque, le sac de café, la plus value que récupère Ballande et c’est tout ça. Je n’ai plus aujourd’hui tous ces documents mais ça partait de la caféière jusqu’à l’usine de Ballande et on montrait comment il a réussi à avoir les gens d’ici. On est parti, pour montrer en quoi l’outil élaboré par Marx nous concernait ici à Ponérihouen, pour analyser le système capitaliste, voilà !
Désiré : Comment étaient perçues, au niveau de PONERIHOUEN les réunions politiques ?
Gaby : Au niveau du pays, le marxisme est perçu comme une idéologie athée et ici nous sommes tous chrétiens, il n’y a plus personne qui est païen, c’est comme si on venait contester les croyances des gens, On a fait des échanges, des communiqués au niveau des journaux pour expliquer à quoi nous avons utiliser le marxisme ; On se référait aux luttes de Libération de l’Amérique Latine, comment tous ces chrétiens se rapprochent de l’analyse marxiste, notamment avec Camilo TORREZ, qui a été assassiné en tant que prêtre et qui avait choisi de se mettre avec les opprimés en Amérique Latine et qui la plupart du temps s’est positionné sur la Lutte des Classe pour dire qu’en Amérique Latine il y avait une bourgeoisie qui exploite les paysans Sud-américains, les gens en général au profit de l’impérialisme américain. Il a été assassiné ce prêtre : Camilo TORREZ , et puis d’autres personnes aussi.
Il y a eu toutes ces polémiques, ces communiqués, pour finalement dire comment on fait quand dans un pays qui est à 99 % chrétien on lutte contre l’oppression et qu’on veut utiliser le marxisme ; A Ponérhihouen on a eu ce débat, on se réunit , on discute tout le temps, c’était nouveau de demander à la base, dans les tribus, là où l’on cueille de café de réfléchir à tout ça de voir comment on peut changer, qu’est ce qu’on peut faire, et ça c’était nouveau, on était en train de renverser complètement la vapeur du système colonial : Le patron est en haut et nous on commence en bas, à la base, on discute. Les choses dont on s’est inspiré c’est des choses plus simple c’est le Paul UTER ( ?) et Paulo FREIRE qui était un militant chrétien et qui a analysé à la façon de Marx le système économique au Brésil.
DESIRE : Qui étaient les personnages relais ? C’est qui, hein ?
GABY : On s’est organisé sérieusement sur PONERIHOUEN en 82. Parce que moi et tantine DEWE on était pris à la permanence, les relations extérieures avec Suzanne OUNEI, elles étaient prises à l’extérieur. Bref on était tout le temps à Nouméa. Moi je suis rentré en 1979 et on a créé la section régionale en 1982. et là, il y avait des jeunes qui venaient des tribus de Néouta, de Grondu, Grochain, Goa, l’Embouchure, de Tchamba et de Monéo. Et chaque tribu nommait quelqu’un pour participer. On se réunissait et on décidait de créer un agenda au niveau national et au niveau de Ponérihouen : on allait protester contre la scierie, on prévoyait des séances d’éducation politiques…
DESIRE : C’est dur de parler des théories marxistes aux jeunes ?
GABY : C’est très dur, c’est pourquoi je parle de Edouard MERENPON et Michel PONIJA et les militants de Goa, Amédée GOPOEA. On s’est demandé quel élément prendre pour expliquer tout ça aux gens, et on a pris le café. Les gens connaissent bien le processus, du débroussage, du nettoyage de la caférie. A Ouvéa, avec Jubelly ils sont partis sur le processus de production du coprah, donc ça a été adapté selon les spécificités de chaque régions. Nous on a dit qu’à Ponérihouen on a surtout une région agricole. Donc ici, on ne va expliquer la mine, mais on a voulu partir sur les réalités du terrain pour expliquer l’outil.
DESIRE : Et comment s’organisait l’UC à côté du Palika ?
GABY : Celui qui était le délégué à ce moment là c’était Isaac POARARIWA, de l’Embouchure. Papa l’a accompagné en 77 au Congrès de Bourail, nous sommes partis avec André GOPOEA, on l’a accompagné au Congrès et on est revenu. A ce moment là il y a eu une grande clarification. Beaucoup de calédoniens sont partis comme Aïfa, parce qu’ils ne voulu d’une indépendance Kanak, ils ne voulaient qu’on remette en cause le mot d’ordre « deux couleurs, un seul peuple », toute la réflexion que menait Jean-Marie, François Burck, Pierre Declercq et Eloi Machorro, Yeiwene Yeiwene pour faire émerger l’idée d’indépendance, la réflexion sur les terres, la notion de « premier occupant » et tout ça. Il y a eu un blocage, beaucoup ont fui le bateau. Un an après le Congrès du Palika, l’Union Calédonienne s’est à son tour prononcée pour l’Indépendance, en 1977 au Congrès de Bourail, au prix du départ de beaucoup de membres calédoniens. Donc il y a toujours eu cette distance de synchronisation entre nous et l’Union Calédonienne pour se mettre ensemble, dans une même pensée nationaliste. Ca remonte à l’origine de ce que les Vieux on créé : l’AICLF, l’UICALO, c’est l’empreinte de la religion, il ne fallait pas utiliser la violence, d’être bons, les deux associations kanak étaient des associations confessionnelles avec Leenhardt et Luneau au début, il y avait une volonté de contrer Mme TUNICA et le parti communiste calédonien en 1946 – 47. Donc, nous, le PALIKA on apparaissait comme communistes, vis-à-vis de nos ancêtres. Et c’est normal, les Vieux ils voulaient que nous les jeunes on s’expliquent, c’est quand même eux qui ont fait tout ça, donc voilà, pourquoi il y a toujours eu ce décalage dans les positionnements. C’est dû aussi étudiants qui reviennent de France, ils réagissent plus vite, ils réfléchissent plus vite. Les vieux disent comment on articule, « on vient du régime de l’Indigénat, on est passé par la Religion pour arriver à la libération sociale et politique, les jeunes ils y vont tout de suite, mais les Vieux qu’est-ce qu’ils font ?
DESIRE : Le PALIKA a –t-il intégré le Congrès de Bourail par la demande des gens de l’UC ?
GABY : Non, non, non, ça c’est une analyse de l’extérieur, Nous on est allé par rapport à Papa qui était invité. Ceux qui avaient été invités c’est le NKU, qui voulaient parler d’une Nation Kalédonienne Unie ; C’ est à travers l’UJC, l’Union des Jeunesses Calédoniennes qu’il y avait ce projet et ils avaient invité Jacques VIOLETTE pour qu’il vienne un peu expliquer ça. C’était une ressource pour aborder la réflexion sur l’indépendance. Nous on n’avait pas accès au Congrès de Bourail, nous…
DESIRE : J’ai entendu dire qu’Eloi Machorro avait fait appel à Elie pour le Congrès de Bourail ?
GABY : Non, ça c’est beaucoup plus tard, en 1984, il ly a eu cette démarche. Il y avait Papa Simon NAAOUTCHOUE et Eloi MACHORRO, qu’ils ont fait une ample démarche pour mobiliser les forces vives du pays pour une plate-forme minimale pour le Front de Libération National Kanak et Socialiste, il y avait les Eglises, les syndicats, tous les partis politiques pour créer le Front. Eloi avait apporté une coutume au Palika pour qu’on intègre le FLNKS. Mais avant le FLNKS, il y a eu le Front Indépendantiste qui a été créé un peu, enfin beaucoup sous la pression de la réforme électorale en 1979 qui nous rendait minoritaire, nous les indépendantiste. Donc cet élément en face de nous, nous obligeait à nous mettre ensemble, puisque maintenant l’UC, le Palika et l’Union Multiraciale étaient d’accord pour l’indépendance, on devait se mettre ensemble contre cette réforme électorale qui nous désavantageait. En 1979, on s’est mis ensemble, on a créé le FI, qui était d’abord un Front électoral, mais on ne pouvait pas faire autrement, le Palika était nouveau sur la scène politique, alors que tous les autres étaient des partis installés dans les Institutions. On ne pouvait pas créer tout de suite un Front de rupture, il fallait d’abord commencer avec ceux qui étaient dans les Institutions, avec ce Front Indépendantiste et une plate forme minimale, contre l’impérialisme et pour le développement décidé avec le peuple. C’était ça .
DESIRE : En 1978, Il y a eu une manifestation contre Dijoud…
GABY : Il faut se dire que quand on commence à parler d’identité, d’indépendance, de culture Kanak, de sauvegarde de la culture avec le Festival Mélanésia 2000 eh bien, là bas dans les bureaux de l’Etat Français, dans les bureaux du système colonial, on élabore des plans de réponse, militairement, idéologiquement, dans l’enseignement, et tout ça. Ils ont élaboré des plans. On parlait de Stirn, tout ça avec Giscard, de la promotion mélanésienne de cette époque, c’était des plans avec le FADIL et tout ça, ils essayaient de créer des réformes pour répondre superficiellement à ce qu’on veut, au niveau des terres, au niveau de l’identité kanak. Dijoud, lui il a parlé en 1978, d’un plan à long terme, un plan de dix ans. Et c’est là qu’on a manifesté contre ce plan là. Ce qui était intéressant quand même chez DIJOUD c’est qu’il a parlé de la notion de propriété clanique. Il a été obligé reconnaître sous la pression – parce qu’à l’époque il y avait des occupations de terres partout, sur la côte ouest, parce que c’est là que les Vieux, ils ont perdu des terres : à partir de La Foa, parce que c’est là qu’il y a eu la révolte. Donc, ils ont dit on va parler de réforme foncière, de redistributions de terres, mais nous on sentait bien que c’était pas ça, c’est pour ça qu’on a manifesté, ils veulent encore nous faire prendre des vessies pour des lanternes et des enfants du bon Dieu…pour des canards sauvages…Alors encore une fois dans la rue contre le plan DIJOUD.
DESIRE : Parlons maintenant de la scission, comment ça s’est passé ?
GABY : La scission c’est par rapport à l’idéologie marxiste, puisque ce qu’ils ont appelé la tendance AMOA, les militants qui étaient autour du grand chef de Maré, avec HNAISSELIN, ils ont réagi en disant qu’au niveau culturel et au niveau du fait qu’on est chrétien. Par rapport à l’athéisme…c’est pour dire que le marxisme qui parle de la lutte des classes, de la plus value, sur ce point, Hnaisselin disait qu’il fallait alors attendre qu’on ait des usines partout dans le pays pour qu’on soit libérés, et d’un côté il avait raison Hnaisselin, il a dit notre problème d’abord, c’est un problème colonial. C’est un peu cette nuance de la complémentarité, Ca se complète si on est plus colonisé on devient indépendant, on est plus soumis au niveau social au capitalisme alors on devient des ouvriers émancipés. Nous sommes des kanak, Hnaisselin, Poigoune, Déwé, et nous, nous sommes en train de chercher dans cette lutte coloniale des outils et c’est un débat interne à l’intérieur du nationalisme et on ne s’est pas entendu au niveau des idées, sur le fond . Donc ça s’est passé à Témala en1980 et la rupture a eu lieu en 1981 au Congrès de Do Kamo. Et quand on regarde maintenant, ce que je veux dire, c’est un débat entre nous les kanak colonisés : quels outils on utilise, par rapport à la conception du monde propre au kanak, au fait qu’on est devenu chrétiens et cet outil marxiste. Et c’était normal que ça arrive, parce qu’il y a des choses que nos ancêtres nous ont transmis et qui ont de la valeur pour nous. Si des choses nouvelles arrivent c’est normal qu’on réagissent, c’est un débat interne.
Alors, ils nous ont quitté en 1981, ils ont créé le LKS et nous nous avons continué, avec le Palika. Nous, nous avions intégré le FI en 1979, mais nous l’avions quitté en 1980 ou 1981, parce que nous nous étions rendus compte que c’était surtout électoral, quoi. Le LKS, lui est resté dedans… En 1980, nous avions déjà contré le plan DIJOUD et en 1981, les socialistes arrivent au gouvernement le 10 mai 1981. Ce sera la période socialiste jusqu’en 95.
DESIRE : Il y a eu des personnes USTKE, peux tu en parler ?
GABY : C’est-à-dire qu’il y a eu des contacts avec Louis Kotra UREGEI et Paul je pense, pour créer un syndicat qui tienne compte de notre situation et finalement, ils ont élaboré les statuts de l’USTKE en 1982 je crois. Ce syndicat là ne fait pas seulement du syndicalisme de type métro, mais du syndicalisme qui tienne compte de la situation coloniale, c’est pour ça qu’il parle de travailleurs Kanak et exploités, « d’usines tribus, même combat ».
DESIRE : Après 82, il y a eu une attitude de prudence par rapport au gouvernement…
GABY : C’est important l’apport de nos frères et sœurs qui sont allés en France faire des études, parce que là bas, il ont senti la température. Ils ont senti, les nuances qu’il y avait en Europe entre le parti socialiste, le parti communiste, la Droite, l’extrême droite, et comment ces partis se sont positionnés au moment de la guerre du Vietnam, de la guerre d’Algérie. Et ces positionnements au moment des conflits coloniaux, ce sont des positionnements qui peuvent se reproduire ici. C’est ce qui fait qu’on a pas attendu leur analyse pour dire, il faut se méfier des socialistes. C’est pour ça qu’on avait plus confiance au parti communiste et extrême gauche qu’au parti Socialiste. Parce que Mitterrand, par exemple, au moment de la Guerre d’Algérie était Ministre de l’Intérieur. Donc, il était complice de ce qui se passait en Algérie. Donc l’analyse de ceux qui étaient à l’université, nous a aidé à comprendre comment ça s’est passé au Vietnam, en Algérie…
DESIRE : Après, il y a eu la création du gouvernement provisoire de Kanaky …Toi tu y as participé…
GABY : oui, c’est-à-dire qu’il y a eu la création du FLNKS en février 1984. Et nous tout de suite, sur Ponérihouen on a adhéré. Depuis DIJOUD, ici sur PONERIHOUEN, on avait un comité de coordination, on travaillait avec l’UPM et l’UC, ici, sur le terrain. Donc quand il y a eu le FLNKS on était d’accord, parce que on était déjà dedans. Il y avait un mot d’ordre à l’époque : il faut faire un front à la base , il faut définir des objectifs clairs et mener des actions concrètes. Le fait qu’on fasse des actions avec l’UPM et l’UC, c’était ça, c’était pour contrer le plan DIJOUD avec son plan de dix ans, contre nous. Donc on a fait les évènements de 1984, on a fait les barrages à MOU et c’est durant ces barrages, quand Eloi occupait Thio, quand il y a eu les soulèvements sur la côte Ouest, à Oundjo, à Lifou, à Ponérihouen, à partir de Novembre jusqu’en décembre. Dans ce contexte de soulèvement de notre peuple contre le statut Lemoine, Eloi qui fracasse l’urne, le pays Kanak était en insurrection, le peuple kanak était souverain à ce moment là. C’est là que Jean-Marie, André GOPOEA et Yeiwené Yeiwené, ont levé le drapeau à la Conception pour créer le gouvernement de Kanaky, le 1° décembre 84, pour contrer le statut Lemoine. Ensuite, le gouvernement il a existé jusqu’aux accords de Matignon, jusqu’en 1989, avec ses ministères. Nous avons participé en tant que membre du ministère des finances avec comme Ministre M. WEA Hninë.
DESIRE : comment étaient ils considérés par ceux qui sont contre nous ?
GABY :Tout était clair puisque le président du gouvernement provisoire a été assassiné avec YEIWENE, le ministre la Sécurité, Eloi MACHORRO a été tué. Les membres capitaux ont été décapités, tués. C’est-à-dire que la réaction de l’Etat Français, de la DST, de la DGSE et même des Caldoches, mais il ne faut pas oublier que si le gouvernement a été créé le 1° décembre, mais auparavant on a tué des militants au Nord, à OUEGOA, et le 5 décembre, ils ont assassinés les frères de Jean-Marie TJIBAOU, c’est dire qu’il n’y a pas de plus grande preuve que les assassinats de tous nos frères qui militaient pour l’indépendance de Kanaky que leur assassinat. Je ne parle même pas de la presse. Il n’y a que le Forum du Pacifique qui nous a soutenu, que les pays non-alignés. A travers eux, lorsque Jean-Marie est allé à l’ONU et que le pays a été inscrit à la liste des pays à décoloniser. Une grande partie du monde était avec nous, mais localement, et au niveau de l’Etat français, ils étaient contre nous. Ce qui a fait dire à Machoro sa fameuse phrase « la consigne demeure » pour la libération de Kanaky. C’était une phrase prémonitoire de toute façon.
Désiré : Avec cette phrase on va passer à la période de Nainville les Roches aux Accords de Matignon.
Gaby : Nous le Palika à l’époque est très radical. On se disait on ne signe avec le diable. L’Etat français il en a rien à foutre, il t’avance des bonbons et puis tu prends et puis il t’astique. Parce que Nainville les Roches c’est un peu l’aboutissement du système avec le corps éléctoral et tout ça, seul le peuple kanak le peuple colonisé vote. Mais il se retrouve minoritaire et quand on parle de la notion de victime de l’histoire, c’est-à –dire qu’il y a des gens qui ont été déportés ici ils sont descendants de nos grand-mères, de nos ancêtre des nos grandes sœurs et tout ça… c’est tout ça le pays. La reconnaissance des victimes de l’histoire et qui ont vécu ici peuvent construire le pays avec nous demain. Et puis nous on ne peut pas continuer toujours cette guerre d’Ataï tout seul. La stratégie de Nainville les Roches c’était de partir avec la FNSC qui était au gouvernement en 1982 et Nainville les Roches c’était en 1983, avec Henri Wetta qui était dedans. L’indépendance kanak ce n’est pas de chasser tout le monde mais de dire qu’ici il y a un peuple qui a vécu et qu’il peut vivre avec ceux qui sont nos descendants et qui sont les victimes de l’histoire. Et est contre un système de domination d’aliénation coloniale pour dire qu’on nie une culture une identité mais qu’on est pas contre les gens. Et la création du Conseil de gouvernement avec comme vice- président Jean-Marie à démontrer avec sa gestion qu’il a laissé un milliard dans les caisses quand il est parti. Il a démontré qu’on peut gérer ce pays avec des gens de droits et qui sont des Européens. Donc Nainville les Roches qu’on peut faire un pays avec les calédoniens qui veulent vivre ici. Donc on a sorti l’histoire du corps électoral qui est composé du peuple kanak et des victimes de l’histoire. C’est ça Nainville les Roches, c’est ouvrir le corps électoral aux victimes de l’histoire.
Le Palika se méfiait de ça. Pour nous l’Etat français était un vieux singe et qu’on allait pas lui apprendre à faire la grimace. Quand tu signes quelque chose avec lui tu as pas de garantie ça c’est vérifié plus tard. Et c’est l’expérience de nos ancêtres ici comme à travers la loi cadre qu’il a renié la parole donnée.
C’est à partir de la création de FLNKS qu’on s’est rendu compte qu’on avait besoin des uns des autres et de l’apport en ressource intellectuelle en réflexion de Eloi, de Jean-Marie, de Yéwéné de tous les kanak qui sont ici, des églises et tout ça. C’est important, c’est des pierres pour bâtir le pays. Parce que on va pas toujours on va pas dire qu’on arrive dans une lutte et qu’on a tous les outils, on avance avec ce qu’on a comme amour propre et comme limites aussi et c’est ça la lutte, tu as plein de militants qui trimbalent leur amour propre qui trimbalent leurs limites. Et après on avance en confrontant tout ça et par rapport au système on voit nos limites surtout quand on a perdu des morts, quand on est allé en prison ça crée un déclic pour t’amener à plus d’intelligence. C’est après qu’on s’est rendu compte qu’on avait les uns des autres. Les partis politiques sont des pans du nationalisme pour mener des actions de lutte pour l’ensemble mais pas contre l’ensemble.
Désiré : par rapport au processus de l’accord de Matignon qu’est-ce que le Palika il a fait ?
Gaby : Le processus de l’Accord de Matignon ben le Palika n’est pas allé. Le Président, Paul Néaoutyine, a déclaré, je crois dans une interview, dans combat ouvrier qu’il regrettait de n’être pas allé aux négociations des Accords de Matignon. Surtout lui en tant que ressource ayant une analyse économique, c’ était important qu’il soit là-bas parce que c’était une négociation surtout économique il fallait qu’il soit là.
Désiré : et aujourd’hui comment tu vois la situation ?
Gaby : je trouve qu’on se débrouille bien. On n’est plus dupe du tout. Je prend par exemple l’USTKE,le Rhëëbuu nu, ce qu’il font au Nord tout ça parce que je pense que maintenant les kanak font attention à d’autres kanak qui luttent dans les autres pans de la vie. On est plus dupe maintenant on est mature. Ce que vous faites c’est ça. On fait ça parce qu’il y a cette variété là cette différence là . je crois qu’on est arrivé là et moi j’ai espoir là.
Désiré : tu as un petit message pour les frères kanak ?
Gaby : je vous encourage à continuer dans cette maturité là, je vous encourage au niveau musical. Ce que vous faites au niveau de l’Association Poadane au niveau de Djiido au niveau de la Province Nord de tous les Partis politique, de l’UC, de l’UPM, de l’USTKE et même du LKS, de RhëëBuu nu il faut continuer dans ce sens que je pense qu’on est qu’une pièce du puzzle dans le dispositif d’accession à la souveraineté. Je vous encourage à continuer comme ça, Merci.
Très bonne et belle rétrospective de l’histoire de ce pays .C’est aux jeunes d’en puiser des connaissances du vrai passé.Marcel BESREST.