En 2010, avec la levée du drapeau du FLNKS par le RUMP, il y a eu une première crispation à l’intérieur du camp non-indépendantiste. Ce qui devait être un geste d’apaisement, d’ouverture, a en fait créé plus de problèmes qu’ils n’en a résolus; en effet, en lieu et place “d’apaisement”, il a redonné vigueur au discours indépendantiste, mais il a surtout déchiré le camp non-indépendantiste, la levée du drapeau étant ressentie comme bien plus qu’une maladresse mais jusqu’à une trahison pour beaucoup. Puis s’ensuivit une deuxième erreur, celle de vouloir réhabiliter les squats à grand coup d’argent public, alors qu’une majorité de Calédoniens restent dans la légalité et la cherté qui va avec; achat du terrain, permis de construire, frais de raccordement réseaux. Deux erreurs, deux premières crispations de l’opinion, et comme conséquence une double déchirure, entre politiciens et électeurs au sein d’un même parti politique d’une part, mais aussi déchirure à l’intérieur de la grande famille politique dont la raison d’être est le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France. Bipolarisation RUMP vs. CE dans la famille politique, déchirure qui ne s’est pas refermée avec le temps; elle a perduré: les élections législatives de 2012 avaient sonné l’heure du règlement de compte. Mais en fait, rien n’est vraiment réglé.
Deux erreurs, un premier règlement de comptes, mais sans sortie de crise : la tension, l’inimitié entre les camps RUMP d’une part et CE de l’autre ne se sont jamais calmées et aujourd’hui il semble que le stade de la haine mutuelle gravée dans la pierre ait été atteint, parce qu’à ces deux erreurs vont succéder des incidents de parcours qui maintiennent une crispation ininterrompue (1) dans la vie politique du pays et vont amener de nouvelles retombées. D’abord il y eut la mise en examen d’Harold Martin. Même si sa culpabilité n’a pas encore été établie par la justice, les dégâts sur l’image publique sont là, et le probable procès à venir est une mauvaise publicité pour l’homme, pour son parti, pour la fonction d’élu, et pour le Gouvernement tout entier. Puis l’histoire d’une élue du Congrès qui conduit avec un taux d’alcoolémie et commet une infraction au code de la route, fait divers qui viendra à son tour nuire à l’image de son parti et encore desservir la fonction d’élu, car l’incident est un contre-exemple lourd de symbole. Enfin, l’épisode de la grève contre la vie chère et son issue surprenante; une reprise des négociations par l’Etat sous l’égide duquel un accord est trouvé. Un fait qui laissera un mauvais souvenir qui va durer: ce conflit a fait exploser au grand jour l’incurie de ces politiciens qui forment le Gouvernement: les uns s’en fichent, les autres sont trop nuls pour agir, d’autres ont peut-être des raisons… de ne pas agir. Mais ce que les Calédoniens ne sont pas prêts d’oublier, c’est d’avoir vu leur Gouvernement, leurs élus, mis au piquet et être contraint d’agir 1) sous la pression de la rue et 2) sous l’égide de l’Etat. Issue de conflit catastrophique pour son image. Nouvelle crispation, gâchis politique, mauvais signe pour un pays qui prétend se gérer et s’émanciper.
Et comme si tout cela ne suffisait pas, l’affaire Boiteux vient en rajouter une couche. Le premier étage de la fusée Boiteux, c’est une sanction disciplinaire voulue par un membre du Gouvernement qui est perçue comme abusive et choque l’opinion d’autant plus que l’interdiction intimée à cette fonctionnaire de se taire se produit lors d’une réunion sur le conflit de la vie chère, sujet qui affecte les Calédoniens dans leur vie de tous les jours; ceci est donc perçu à la fois comme une manoeuvre de cachotterie envers les citoyens sur la fiscalité — question sensible– et aussi comme une attitude trop autoritaire et arbitraire. L’opinion publique se crispe une fois de plus, toujours envers la même coalition politique dont l’image est déjà bien ternie. Et depuis la séance du Congrès de ce 13 juin, le deuxième étage de la fusée Boiteux s’allume : révélations sur des mails circulant et ayant pour objet des informations sur la fiscalité d’élus transmises à d’autres élus. Cette fois, c’est un peu tout le monde qui risque d’être éclaboussé, ça sent mauvais. On ne sait pas si le troisième étage s’allumera (commission d’enquête, plainte au pénal de H Martin), mais si c’est le cas, on pourrait aller vers de graves révélations, un gros scandale politique, et peut-être l’implosion du système. Certains ont peut-être intérêt à aller jusqu’au bout pour que tous ceux qui ont mis la main dans le pot de confiture soient démasqués eux aussi, pour que tout ce qui va retomber…retombe de manière plus juste et pas sur toujours les mêmes…
A partir de maintenant trois cas de figure possibles. Le premier: tout ce petit monde (issu du même berceau politique, ne l’oublions pas) se calme pour se sauver mutuellement, sauver le système, leur système, … leur peau, et la fusée tombe à l’eau, la tempête se calme, et tout ça fait un gros “pschitt” comme aurait dit Chirac. Connaissant nos politiciens, malgré leurs désaccords ils sont, ils restent copains comme cochons devant les circonstances et pourraient faire ce qu’il faut pour sauver leurs fesses entre eux pour le scrutin de 2014. C’est une possibilité qu’il ne faut pas écarter, et si tel est le cas la Nouvelle-Calédonie et son microcosme politique seront passés à côté de quelque chose de grand, une purge salutaire, peut-être un abcès à crever pour que la politique de ce pays reparte sur des bases plus saines, et remette à zéro le compteur, amène une décrispation. A moins que — deuxième cas– les motifs des plaintes eux aussi tombent à l’eau. Le troisième (c’est peut-être celui que beaucoup d’entre-nous citoyens espérons) ils vont au bout de leurs rivalités, de leurs haines personnelles, de leur volonté d’en découdre avec l’autre, révélations, dénonciations, et la machine judiciaire mène le bal, perquisitions, convocations, mises en examen. Cela pourrait durer plusieurs mois et entretenir le pays et ses institutions dans une période d’agitation et d’instabilité politique peu arrangeantes pour beaucoup jusqu’aux élections provinciales de 2014. Est-ce ce que Paris souhaite ?
S’il est encore bien trop tôt pour savoir jusqu’où l’affaire Boiteux va amener ce pays, ce qui est sûr, c’est qu’elle va encore dans le sens de la crispation et vient en ajouter à ce florilège de retombées. C’est donc bien au-delà du stade de la haine entre RUMP et CE et d’une famille politique déchirée au-delà du réconciliable que nous sommes arrivés. Car l’écho de cette affaire est fort dans l’opinion. C’est de manière plus générale une grande perte de confiance et d’estime des citoyens pour les hommes et femmes de la politique de ce pays. Aujourd’hui, la famille politique anti-indépendantiste — surtout ceux qui sont au Gouvernement et donc tiennent les rennes du pays– a perdu toute crédibilité, tant dans son image d’intégrité que dans sa capacité à prendre à bras le corps des problèmes, gérer des crises, travailler dans l’intérêt des Calédoniens et trouver des solutions; le fiasco de la vie chère en aura été la preuve irréfutable, un désastre pour son image publique. Ces échecs, ces affaires, ces erreurs de conduite sont devenus aujourd’hui les motifs, les lieux où se cristallisent désormais toutes les rancoeurs, toutes les méfiances, frustrations et colères ressenties par les citoyens contre leurs politiques. Il suffit de lire ce que les internautes écrivent sur les médias locaux et réseaux sociaux, ou disent à la radio, pour mesurer l’ampleur du malaise que vit ce pays; un pan entier du contrat social qui lie le peuple aux politiques s’est effondré. Cette crispation maintenant à son comble vient de ce constat d’absence de probité, d’intégrité, d’efficacité, et parallèlement à cela, de l’absence de résultats et de volonté devant ce qui va mal dans ce pays; au fil des années qui passent, les citoyens ne voient rien venir. Car les politiques, occupés à leurs basses oeuvres et calculs personnels ou partisans, sont absents des solutions, des résultats attendus.
C’est donc aujourd’hui surtout le Gouvernement et le RUMP/AE qui cristallisent les passions, les rancoeurs (2). Au final, l’impression qui se dégage de tout cela — ce que veut démontrer cet essai– c’est que l’erreur du double drapeau a fait basculer les choses dans la vie politique de notre pays; s’étant sentis abusés dans cette affaire, les Calédoniens ne laissent plus rien passer : chaque erreur, chaque faute de parcours, chaque maladresse d’un élu, ou membre du parti au pouvoir ou du Gouvernement , fait écho et alourdit la facture de la méfiance et de la rancoeur accumulées des citoyens contre leur classe politique et maintient cet état de crispation de l’opinion. En 2013, le RUMP/AE se morcèle encore (MPC), son image s’effrite encore un peu et c’est toute la famille politique non-indépendantiste qui se fragilise un peu plus. La gravité de la situation se trouve dans le fait que dans son électorat, les passions se cristallisent à deux niveaux: d’abord la diabolisation entre partis politiques rivaux, et la diabolisation de l’autre, celle des citoyens envers leurs politiques en qui ils avaient placé leur confiance, leur estime, leurs attentes. Le mal est fait et deux conclusions s’imposent: la première est que la déchirure entre partis, ces prises de positions et rivalités sont telles qu’aujourd’hui il semble utopiste de croire en une famille politique ressoudée de manière vraie, solide et durable (sauf de façade et éphémère, calculée pour le scrutin de 2014, mais après ?). La deuxième, aujourd’hui il semble que la Calédonie s’approche d’un point de non retour dans le rejet de la classe politique, dans la perte de confiance. Et l’addition des deux laisse peut-être présager d’une véritable implosion: implosion de la classe politique (implosion des institutions, de la coalition) et implosion de la vie politique par cette rupture du lien entre électeurs et élus.
Aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie est au bord de la crise de nerfs, est au bord du gouffre. Les citoyens voient leur pays et leurs politiques sur la voie de la république bananière. Les conséquences de toutes ces affaires allant vraisemblablement s’inscrire dans la durée, s’inscrire dans les mémoires, que restera-t-il du paysage politique calédonien aux élections de 2014, un champ de ruines ?
Mister Eric
(1) sans oublier quelques faits divers de voie publique qui ont entretenu la tension autour de l’affaire du double drapeau.
(2) l’affaire Gomès-Goro ayant été classée à la faveur de l’accusé, elle n’a vraisemblablement plus d’incidence sur ce qui se passe aujourd’hui.
Ce qui s’est passé ce 8 août 2013 doit être replacé dans son contexte : cela va dans le sens de cette thèse ci-dessus.
On a vu une logique jusqu’au bout-iste, auto-destructrice. Rump et CE sont d’accord pour ne s’entendre sur rien.
Ce qui s’est passé ce matin va dans le sens de la crispation, de la cristallisation, et va laisser des traces.
Bonsoir – très bonne analyse – dans cette équation, l’inconnue est ce que veulent réellement les kanaks – est qu’ils transposent dans un “état kanak” ce que serait les péripéties actuelles, les affaires, etc …
PS : mieux vaut les rênes que les rennes
deux sénateurs grassement payés avec nos impôts et à “l’électrocardiogramme plat” vu le boulot fournit au Sénat…
un “porcinet” dans les mailles de la justice…
un “pied-noir” à l’égo surdimensionné,et favorable au gel du corps électoral…
et des indépendantistes prêts à gérer le pays en 2014…(enfin une gestion à l’africaine!!!)
pour qui voter aux prochaines échéances?????les moins pire!!! 😉
pace salute
Pourquoi tu dis “gestion à l’africaine” ? Ici on est supérieur aux africains, il faut dire à l’océanienne : narco trafiques au Vanuatu, pillage minier et destruction environnementale en Papouasie, Nauru, Makatéa, putsch militaires à Fidji, guerre tribale et intervention extérieure aux Salomon et Papouasie.
fin valab. Et ça vient se “goberger” au frais de ces enc…de français !!! Oui, c’est le Congrès qui rince les gosiers de tout ces gros bouffeurs (zavez vu ces bides….). Et pour les filles, je sais pas si il y en a, des ukrainiennes ou des thaïlandaises ???
Gestion bougnagnière, pas africaine…!!!
Synthèse cruelle et objective à la fois.
En effet, tes apports complémentaires vont dans le sens de ce que je veux montrer.
Merci de ton soutien et d’avoir pris le temps de lire ! ( c’est un peu long…)