De plus en plus de choses sont dites ou écrites sur le projet du Sud…et pour cause. Oh, ce n’est pas le procédé qui est en cause. Sa fiabilité technique et sa viabilité économique sont maintenant prouvées ailleurs, notamment à Ambatovy (Madagascar)et Coral Bay (Philippines).
Le problème est de deux ordres. Tout d’abord, cette usine a été construite en dépit du bon sens, par plusieurs équipes différentes, avec chacune des objectifs différents et surtout des responsabilités qui n’étaient pas transmises d’une équipe à l’autre. Résultat, dans un contexte de crise économique mondiale et de baisse des cours du nickel, on s’est livré à des coupes sombres sur le choix des équipements ou des matériaux.
Ceci se traduit aujourd’hui par des vraies incertitudes sur l’intégrité technologique et la viabilité technique de l’ensemble du projet. De quoi faire douter sérieusement un certain nombre de cadres qui ont la responsabilité de faire tourner la boutique. De plus, il semblerait que dans le contexte de crise actuel, la direction prenne la responsabilité de repousser certains programmes de maintenance. Quels sont les risques associés, quelles seront les conséquences, on préfère ne pas y penser? Mais, une chose est sûre, on n’a sans doute pas fini de parler du projet de Goro.
Toutefois, si le problème n’était que technique, on pourrait se dire, finalement rien de très surprenant. Tous les nouveaux projets connaissent plus ou moins de difficultés au démarrage et le projet du Nord n’en sera pas exempt non plus! Les difficultés techniques, finissent toujours pas être résolues en milieu industriel, mais voilà, il semblerait qu’il n’y ait pas que cela. S’ajoutent aux problèmes techniques, des dis-connections internes et externes. Le souci majeur semble être d’ordre culturel. Vale a succombé à la tentation anglo-saxonne, jadis l’apanage de feu INCO.
N’allez chercher aucune connotation xénophobe dans ces propos. Nous parlons là d’un trait culturel qui se traduit par une forte tendance à considérer le monde industriel (voir le monde tout court) de façon hégémonique. D’une tendance à considérer que la logique économique de la multinationale doit s’imposer à toutes les autres, que ce que l’entreprise décide est bon pour tous et que tous doivent comprendre et obtempérer, en particulier les « pauvres acteurs locaux qui ne comprennent rien à rien » !
Les comités de direction ont toujours lieu en Anglais, ce qui ne place pas les cadres locaux qui ne maitrisent pas toutes les subtilités de la langue de Shakespeare, dans une position très forte pour expliquer aux dirigeants, que ce pays possède quelques particularismes qu’ils seraient inspirés de prendre en considération.
A partir de là, découle une insensibilité culturelle très forte, une espèce d’hermétisme obtus à la sociologie et à l’anthropologie des projets. On le voit chez Vale, par l’incapacité des équipes de direction essentiellement anglo-saxonnes, à s’intégrer à la société calédonienne et au monde qui les entoure. C’est généralement ce qui arrive quand on vit en circuit fermé. Incapacité à ressentir le pays, ses spécificités, à comprendre les comportements, les attentes. Incapacité à anticiper les réactions, à créer des réseaux (que l’on envisage qu’à la lueur de quelques déjeuners au restaurant), incapacité à bâtir la confiance de ses employés et des populations concernées.
Dans ces conditions il est bien difficile de demander à ses troupes ou aux gens du coin, de se battre pour que le projet marche, de se battre pour une équipe de direction qui donne la priorité de l’information au public plutôt qu’à ses employés issus des tribus voisines. Il est bien difficile, quand on est employé, de se battre pour une équipe de direction qui n’a pas connu les moments dramatiques de l’histoire du projet et qui n’a aucune considération pour ce que les gens du coin ont déjà vécu de déchirements, de sacrifices, de reniements et de querelles fratricides, en raison du choix qu’ils ont fait de soutenir un jour le projet, ou d’y participer. On considère probablement que le paiement des salaires est bien suffisant comme reconnaissance, que l’information diffusée aux média est aussi satisfaisante en interne et que tout le monde doit s’en contenter. Et on finit même par estimer que ses propres employés agissent contre l’entreprise en se rapprochant des syndicats, alors qu’ils ne font qu’y chercher le réconfort et la protection que leur direction est incapable de leur apporter.
La Nouvelle-Calédonie est en droit d’être très inquiète sur l’avenir de ce projet. Quand un complexe industriel de l’envergure de celui de Goro rencontre les difficultés techniques de l’ampleur de celles rencontrées, sa principale richesse et son meilleur atout réside dans sa capacité à mobiliser ses troupes au-delà de leur simple professionnalisme. Les compétences deviennent insuffisantes sans un engagement hors norme des gens de terrain. C’est eux qui ont la capacité à résoudre les problèmes et à faire fonctionner la machine, personne d’autre. Mais, cet engagement ne peut être sollicité et obtenu, que s’il existe une relation de confiance sans faille, entre les employés et ceux qui ont besoin d’eux pour résoudre les problèmes rencontrés. Hors clairement, c’est loin d’être le cas à Goro, même si l’on pensait au départ, que les Brésiliens avaient la sensibilité culturelle pour changer la donne. Il n’en est rien et c’est bien inquiétant.
Champollion
Très intéressant ton petit texte, Champollion…
Une seule sensibilité prévaut: celle de l’argent. Le reste, tout le reste n’est que portion congrue, marge et périphérie.