LA STRATÉGIE BACKES

A l’UCF il n’y a qu’une seule stratégie politique. Pas parce que les Lafleur, les Blaise, les Yanno les Brial, les Brétegnier et les autres ont tous la même (on sait bien qu’ils ne s’entendent sur rien) Ils ont tous la même stratégie politique simplement parce qu’ils n’en ont aucune. Seule Sonia Backès en a une. Alors, tels des passagers d’un rafiot trop grand pour eux, ils suivent le seul membre de l’équipage qui semble avoir une petite idée de la direction à prendre. Et, sans l’avoir nommé officiellement, ils le suivent comme on obéit à un capitaine. Leur stratégie, c’est la sienne.

Pour preuve, ces gens-là ont-ils déjà eu la charge de mener un mouvement ? Jamais. Ces gens-là ont-ils eu le pouvoir de décider quel discours tenir ? Jamais. Bien sûr Blaise a monté autrefois un groupuscule me direz-vous. Mais, a-t-il été aux élections avec ? Jamais. Et un parti, ça se juge lors des élections, sans l’onction du suffrage universel il n’est rien. Pour cette raison-là, le MRC n’existe pas et n’a jamais existé. Il n’y a que l’UCF et il n’a qu’un seul chef : c’est Backes. Elle seule en son sein n’est pas et n’a jamais été une suiveuse.

Gaël Yanno député a hissé le drapeau du FLNKS, adoubé Wamytan en son temps, nié l’avoir dit, fait sécession et finalement quitté son chef, non pas par conviction, mais simplement parce que le moment, le temps, les évènements le lui imposaient. Avoir l’investiture UMP, suivre le vent, écouter les lobbys, faire profil bas, dire oui à tout, écouter les consignes, faire campagne, tout ça ce n’était ni le fruit de la bêtise, ni des convictions et encore moins affaire de principe. Gaël Yanno est juste un suiveur. C’est son tempérament. Derrière Lafleur, derrière Frogier, derrière tout ce qui est pour lui la représentation de l’autorité et de l’ordre établi. Aujourd’hui, le suiveur qu’il reste est mis au premier plan mais pour avancer il regarde dans son rétroviseur, juste derrière lui, là où se trouve Backes. Il ne guide rien, elle le pousse.

Philippe Blaise a toujours eu besoin de revenir à la « maison RPCR ». Enfin derrière quelqu’un et avec les siens ! Même si durant tout le mandat de la coalition RUMP-UC il n’a eu de cesse d’approuver en silence l’opposition tonitruante de Philippe Gomès, il ne voulait pas suivre celui-là. Pas assez “mec d’ici”. Trop imprévisible, trop bavard. Et tellement pénible avec ses idées de réformes. Non, il voulait suivre, mais quelqu’un de chez lui. Alors, va pour Yanno. Peu importe qu’il ait appelé à voter contre lui aux législatives. Le cœur n’y était pas de toute façon. Et le cœur d’un suiveur a ses raisons que la cohérence politique ignore. Désormais, reconnaissant le chef, il suit Backes sans toujours accepter ce fait. Comme un enfant bougon coincé sur le siège arrière d’une voiture familiale qui file à vive allure.

Gil Brial, n’en parlons pas. Qui l’a jamais vu émettre un avis qui ne soit pas cliché, poncif ou stéréotypé ? Les lieux communs sont sa marque. La banalité son horizon. Il suivait tout ce qui se présentait avant de savoir marcher. Après plusieurs mandats à son actif, qu’aurait-on à lui reprocher sinon d’avoir suivi ? Il n’a jamais rien fait sinon ce qu’on lui a dit de faire. Et cela sera toujours ainsi. Suivre Backes ou un autre, c’est tout comme.

Pierre Brétegnier est certes d’une autre trempe et d’une autre expérience. Mais décide-t-il ? Choisit-il ? Alors oui, il a choisi un jour Lafleur plutôt que le vieux Dick. Il a choisi ensuite Frogier plutôt que Lafleur. Il a enfin choisi Yanno plutôt que Frogier. Mais à chaque fois contraint et forcé. Face aux élections. Face à la menace de couler, emporté par la chute de l’épave RPCR. S’est-il opposé une seule fois ces cinq dernières années à la politique de Frogier ? Jamais. Non pas par conviction mais par intérêt. C’est un suiveur, soit, mais un suiveur prudent, malin, tatillon. Il suit comme on parie sur un brelan : de façon pragmatique, toujours sur la réserve. Le tapis chez Pierre Brétegnier, le risque, ce n’est qu’en dernier recours. Il préfère que d’autres le prennent pour lui. Ici, c’est Backes, alors il suit, circonspect.

Backes, en revanche, par tempérament, par caractère, par construction ne suit pas. Elle ignore d’ailleurs comment faire et pour tout dire, elle en est parfaitement incapable. Il faut la voir bouillir lors de ses interviews ou pendant les séances du congrès pour comprendre qu’elle n’a qu’un seul objectif : le sommet. Là où les autres sont. Eux qu’elles trouvent tous si nuls, si « suiveurs ». Elle veut prendre leur place. Là où elle pourra enfin décider, faire, agir, trancher, choisir, ordonner, punir, bref, commander. Tout son être est dirigé vers ce but exclusif. La stratégie Backes c’est uniquement de conquérir le pouvoir. Pour en faire quoi ? Rien, l’avoir, c’est tout.

Pour cela, aucune conviction d’aucune sorte ne viendra la déconcentrer. Aucun retournement n’est pour elle inenvisageable. Aucune trahison n’en sera une de son point de vue si elle peut servir son plan. Et s’il faut bruler le palais pour le diriger, elle règnera sur ses cendres. Bientôt, les élections décideront de son chemin, sans rien changer à sa destination. Si Yanno perd dans quelques semaines les élections municipales, elle le remplacera automatiquement à la tête de l’UCF et mènera la reconquête en chef de parti. Elle gagne. Si Yanno l’emporte elle fera tout pour le laisser s’embourber dans les affaires de Nouméa. Elle lui donnera l’impression qu’il pourra décider de tout, mais de loin, très loin. Elle s’occupera de politique et lui laissera les bilans comptables. Là aussi, elle gagne.

Naguère, Balladur avait donné l’impression à Chirac qu’une fois 1er ministre il aurait son mot à dire dans les affaires du Gouvernement… l’histoire retiendra que le second fut dans cette affaire d’une naïveté sans pareil. Car le pouvoir ne se partage pas, il se prend. La stratégie de Backes, c’est aussi de ne jamais l’oublier. Les membres de l’UCF en ont-ils seulement conscience ? Peu importe me direz-vous : ils suivent.

Alfred