Débat: Réflexions sur l'Accord de Nouméa

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Par MATHIAS CHAUCHAT
Professeur à  l’Université de la Nouvelle-Calédonie, agrégé de droit public
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La question des transferts de compétences en Nouvelle-Calédonie repose sur une logique politique différente de celle de la Métropole. Si en France, l’objectif allégué est de rapprocher l’exercice des compétences des citoyens et d’affirmer l’efficacité des politiques publiques, la construction politique de la Nouvelle-Calédonie, issue de l’accord de Nouméa, participe d’un objectif d’émancipation et de décolonisation qui se traduit par un effacement progressif de l’Etat au profit du Pays. On a donc, avec l’accord de Nouméa, raisonné différemment de la Métropole. Si la Nouvelle-Calédonie voulait pouvoir choisir son destin librement, à  l’issue d’une période de préparation de 15 à  20 ans, il fallait tout transférer, méthodiquement et sans souci nécessairement d’efficacité comparative, en ne laissant subsister à  l’Etat que les seules compétences régaliennes sur lesquelles porterait la consultation finale sur l’autodétermination. C’est ainsi, sur cette obligation constitutionnelle irréversible, que s’est construit l’accord de Nouméa.
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L’OBLIGATION CONSTITUTIONNELLE DE TRANSFERER
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L’essentiel se trouve au point 3 de l’accord de Nouméa. Il y est écrit que « les compétences détenues par l’Etat seront transférées à  la Nouvelle-Calédonie », utilisant là  un futur impératif qui ne laisse place à  aucun doute sur l’obligation constitutionnelle. L’accord distingue et énumère les transferts immédiats, ceux qui le seront dans les étapes intermédiaires des mandats commençant en 2004 et 2009, et enfin les compétences régaliennes (justice, ordre public, défense, monnaie, crédit et changes, affaires étrangères) dont le transfert est subordonné à  la consultation des populations intéressées ; « leur approbation équivaudrait à  la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie ». L’accord précise explicitement que « le Congrès, à  la majorité qualifiée des trois cinquièmes, pourra demander à  modifier l’échéancier prévu des transferts de compétences, à  l’exclusion des compétences de caractère régalien ». L’article 26 de la loi organique du 19 mars 1999 complète le dispositif institutionnel des transferts et en définit une modalité localement maîtrisée, la loi du pays : « les compétences attribuées à  l’Etat (…) sont transférées à  la Nouvelle-Calédonie au cours de la période correspondant aux mandats du congrès commençant en 2004 et 2009. Les compétences transférées et l’échéancier des transferts font l’objet d’une loi du pays adoptée à  la majorité des trois cinquièmes des membres du congrès, au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant le début de chaque mandat ». Le congrès de la Nouvelle-Calédonie dispose ainsi d’un droit de regard sur le rythme et l’ordre des transferts. Rien dans la loi ne remet en cause l’obligation constitutionnelle de transférer. Rien ne porte à  reconnaître au congrès de la Nouvelle-Calédonie un quelconque pouvoir d’opportunité de trier dans les compétences transférées. L’obligation apparaît inconditionnelle.

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L’interprétation de cette disposition de l’article 26 a causé beaucoup d’interrogations. Cet article impose simplement au congrès de se prononcer sur la question des transferts de compétences en début de mandat, à  un moment o๠se composent les majorités issues des urnes. On peut raisonnablement estimer que ce délai fixe une condition de forme plus que de fond ; la clause ne vise en effet qu’à  organiser le travail du congrès, qui doit seulement déterminer l’ordre des transferts et leur calendrier, sans en apprécier l’opportunité. En aucune manière, on ne peut l’interpréter comme excluant un transfert après cette date des 6 mois, comme certains membres du congrès ont commencé à  le suggérer. Ce serait en effet très contradictoire avec la lettre comme l’esprit de l’accord qui impose le transfert progressif et irréversible. L’absence de transferts au-delà  des 6 mois serait en effet encore plus contradictoire avec l’obligation constitutionnelle que le fait de délibérer hors délai… L’échéancier n’existe ainsi, s’il est adopté à  la majorité des 3/5ème, que pour repousser le transfert à  une date ultérieure aux six premiers mois de 2009. Au delà  de 2013, on rentrerait dans une période très incertaine de révision de l’accord. Interprétation partagée par François Garde, pour lequel la demande du congrès est « une question de procédure ». Il aurait « une obligation de résultat »2. Cette obligation de délibérer pour 2004 n’a pourtant pas été mise en oeuvre. Le gouvernement de Marie-Noà«lle Thémereau a privilégié la voie de leur préparation en constituant un comité de pilotage des transferts formé du Haut-commissaire de la République, du président du gouvernement, des trois présidents de province et des trois parlementaires, ainsi qu’une représentation des groupes politiques du congrès à  la proportionnelle.. Mais les réunions restent peu nombreuses et atones. Ce transfert, basé sur une énumération et un calendrier, peut-il être différé, retardé ou même refusé aujourd’hui par la Nouvelle-Calédonie ? C’est l’enjeu du débat politique et juridique de la pleine application de l’accord de Nouméa.
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DES TRANSFERTS DE COMPETENCES APPLICABLES DE PLEIN DROIT
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S’il existe indéniablement une obligation constitutionnelle à  transférer, la question est de savoir ce qui se passerait s’il n’existait pas de majorité des 3/5ème favorable à  un calendrier de transferts en 2004 ou 2009 ou même s’il se constituait une majorité des 3/5ème au congrès contraire aux transferts, qu’elle se situe d’ailleurs dans une délibération administrative ou une loi du pays. Il existe une différence significative entre 2004 et 2009. La loi organique ne distingue pas en effet entre les compétences qui devraient être transférées dans le second mandat de l’accord de Nouméa (2004) ou dans le troisième (2009). L’obligation de transférer demeure, mais elle peut s’exécuter, au choix du congrès, sur les deux derniers mandats, ou sur le seul second ou sur le seul troisième mandat. Le retard pris par les transferts de compétences pourrait bien nous amener à  cette dernière hypothèse. Une obligation constitutionnelle ne saurait être conditionnée par un comportement inconstitutionnel du législateur calédonien. Puisque l’obligation existe, et si la loi du pays en fixant le calendrier fait défaut, alors elle doit être remplie autrement.
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On recense deux manières possibles : soit l’intervention d’un texte de transfert par l’Etat, soit « l’effet direct » de la loi. On trouve la trace de la nécessité d’une loi organique ultérieure au seul article 27 de la loi organique. Ce système de la « double clé » n’existe que pour des compétences très particulières, présentées comme « partagées » dans, l’accord de Nouméa, et nécessitant l’adoption d’un cadre législatif spécifique. Comment assurer l’indépendance des journalistes ou des professeurs d’université, comment assurer l’objectivité du contrôle de légalité des collectivités de rang inférieur ? Ce sont des questions complexes qui associeront l’Etat et la Nouvelle-Calédonie. L’Etat ne pourrait sans doute, sans contredire la logique d’émancipation du Pays, refuser le transfert, s’il est demandé par le congrès à  partir de 2009. Faut-il de même, pour les autres compétences qui ne sont en rien présentées comme partagées, une action de l’Etat en cas de carence du congrès et quelle forme prendrait alors cette intervention, si elle était requise ?

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On sait que la forme de la loi organique n’est exigée par l’article 77 de la Constitution que pour déterminer « les compétences de l’Etat qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, l’échelonnement et les modalités de ces transferts, ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci ». L’article 77 ajoute que « les autres mesures nécessaires à  la mise en oeuvre de l’accord mentionné à  l’article 76 sont définies par la loi ». Or la détermination des éléments visés par l’article 77 a déjà  été faite par la loi organique du 19 mars 1999 et il n’y a rien à  en redire. S’il ne s’agit que de constater une obligation constitutionnelle, la loi simple, sur le fondement de l’article 76, suffirait amplement. Il n’est pas sûr que la loi soit même exigée. Cette solution s’avère en effet très directement contraire à  la lettre de la loi organique qui vise la forme de la loi du pays. Le décret en Conseil d’Etat est certes la solution mentionnée à  l’article 23 de la loi organique pour les seuls établissements publics à  transférer.
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Mais, il paraît peu raisonnable de vouloir conditionner une obligation constitutionnelle par la signature d’un décret qui ne pourrait avoir qu’un rôle confirmatif. En outre et dans tous les cas, l’intervention d’un texte national serait contraire au principe constitutionnel d’irréversibilité du transfert des compétences posé par l’accord de Nouméa, car l’Etat se réappropriait une compétence dévolue au congrès. C’est la formalité impossible. Il ne reste alors que la solution de « l’effet direct », c’est-à -dire l’entrée en vigueur de plein droit des transferts, qui paraît bien implicite dans l’accord de Nouméa et semble la moins contraire à  la loi. On dispose en effet d’une obligation constitutionnelle et d’un délai législatif. Le délai maximal dans lequel doit intervenir la loi du pays définissant le calendrier des transferts est la fin du sixième mois du mandat commençant en 2009. Au-delà , on pourrait bien rentrer dans la perspective de « l’effet direct », sans même avoir à  attendre la fin de l’année 2013. Le droit européen fournit des indications très utiles sur le raisonnement juridique à  adopter et la matière a des similitudes. En cas d’obligation précise et de délai, les dispositions des Traités non complétées par une législation communautaire ont bénéficié de l’effet direct. Le Conseil d’Etat ne raisonne pas autrement. Dans la décision Dehaene de 1950, il fallait savoir si on devait appliquer la reconnaissance du droit de grève aux fonctionnaires, alors que le texte constitutionnel précisait que ce droit « s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Faute de loi, le droit de grève devait-il demeurer incantatoire ? Le Conseil d’Etat a confirmé l’invocabilité de ce droit, à  charge pour l’administration, faute de loi, de concilier son exercice avec la continuité du service public.… Pourquoi raisonnerait-on autrement face à  l’obligation constitutionnelle de transférer à  la Nouvelle-Calédonie l’ensemble des compétences non régaliennes avant 2014, date du quatrième et « dernier » mandat de l’accord de Nouméa ? En d’autres termes, la loi organique est parfaite et ne nécessite aucun texte qui en conditionnerait son application. Les transferts deviennent applicables de plein droit à  la date limite fixée par elle.
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La discussion est possible sur le terme de 2009 ou 2013. On peut penser que le calendrier s’étale sur les deux mandats du congrès et il ne peut être différé au-delà , sauf à  Â« sortir » de l’accord de Nouméa. Mais l’obligation de transférer, obligation de résultat, est conditionnée par le vote d’un calendrier dans les six premiers mois de 2009. C’est précisément à  cette date que l’obligation du congrès n’aura pas été remplie, si la carence de celui-ci persiste. C’est alors à  cette date préférentiellement que « l’effet direct » des transferts est le plus susceptible de se poser. Seul le congrès peut alors différer les transferts en votant, à  la majorité des 3/5ème la loi du pays qui en fixe l’ordre et le calendrier pour « modifier l’échéancier » suivant la formule de l’accord de Nouméa et sans toutefois dépasser la fin du troisième mandat. Nul doute que les réunions du comité de pilotage politique des transferts seront plus suivies et que la question apparaîtra d’une grande acuité !
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Au « pays du non-dit3 », il serait temps de ne plus se leurrer sur les perspectives ouvertes par l’accord et d’en faire une pédagogie citoyenne.
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Notes:
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1 Une version développée sera publiée prochainement par l’Actualité Juridique de Droit Administratif (AJDA). Cette version peut être téléchargée sur : http://larje.univ-nc.nc
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2 François Garde, « les institutions de la Nouvelle-Calédonie », L’Harmattan, collection Mondes océaniens, 2001, p. 210.
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3 Barbançon (Louis-José) Le Pays du Non-Dit, Regards sur la Nouvelle-Calédonie, 1992.
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Créateur le 18 octobre 2006 du blog Calédosphère, Franck Thériaux est papa à temps plein d'une petite fille née le 1er Juin 2012. Selon son entourage, il passe beaucoup trop de temps sur internet… Membre émérite de la rédaction, il vit aujourd'hui en métropole après 23 belles années passées sur le Caillou. Il est en contact quotidien avec l’équipe et continue à participer à la vie de son « bébé numérique »
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Tabea

Salut,
est-ce que vous savez s’il y a une possibilité de regarder la série TV “la minute citoyenne” avec ma classe de francais.
Ca fait presque troi mois qu’on travaille sur la Nouvelle-Calédonie et je crois que ca sera une chose très interessante!
Merci beaucoup!
Tabea
(de Berlin, Allemagne)

Alain
C’est très bien Franck de mettre ce texte sur ton blog. Celui-ci va servir d’Agora virtuel. Maintenan, il faut savoir que les thèses du Professeur Chauchat ne font pas l’unanimité en NC. Son passage au gouvernement n’a pas été très brillant. Ses confrères tout aussi réputés ne sont pas d’accord à  100% avec ses analyses. Néanmoins, ce texte a le mérite de replacer le sujet sur la place publique et d’offrir aux gens une matrice d’analyse. Nous le savons tous, nombre de calédoniens ignorent tout ou presque de cet Accord de Nouméa. La série TV “la minute citoyenne” était une… Read more »
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