Après les Evénements qui ont déchiré notre pays au cours des années 80, un processus de reconstruction a été entrepris: processus de paix civile, processus de stabilité politique et dans son sillage, afin de cimenter la réconciliation des esprits, une union symbolique des différentes ethnies qui composent ce territoire par la recherche et l’adoption de signes identitaires partagés par tous, transcendant les communautés. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est devenue “Terre de parole, terre de partage”. Cette devise est porteuse d’un message de paix, dans un rapport d’échange, de confiance avec l’autre, et surtout, elle est ancrée dans son contexte par une particularité de la culture kanak, celle de la valeur, la fiabilité de la parole, dans une tradition d’oralité: la parole est solide, car elle fait foi dans la culture kanak . Cette devise veut donc rassembler notre identité plurielle sous un geste fondateur, un socle politique, voire affectif, et elle engage les communautés, et peut-être encore plus la communauté qui met en avant l’importance de la parole dans sa culture, et dans le geste politique. Dans l’absolu, le mot parole porte en lui un contenu sémantique: la parole est sincère, elle ne porte en elle-même que ce qu’elle présente: elle n’est pas ambiguë La parole, donner sa parole, c’est une noble volonté de jouer franc jeu dans la recherche d’une entente avec l’autre, c’est abattre les cartes pour montrer qu’on n’a pas l’intention de tromper. Elle est la garantie de sincérité dans la démarche qui ne donne pas de place à la fourberie, au retournement, au chacun pour soi dans l’échange avec l’autre. La parole fait honneur à celui qui la donne car par ce procédé il s’approprie et porte en lui-même le message, les valeurs que la parole porte et apporte: rassurer, apaiser, bâtir la confiance dans l’avenir.
Or, depuis l’affaire de la levée du drapeau indépendantiste et la réaction de suspicion que cela a entraîné, et plus récemment avec l’affaire des cases de la Moselle, la tension politique — dans les esprits– est indubitablement remontée. Entre ces deux faits, les paroles fusent, çà et là, à la télévision, sur la Baie des Citrons le soir du 14 juillet, et sur la Baie de la Moselle. Des “paroles”, via les médias et l’évènement ont pris la place de “la parole”. Souvenons-nous en 2010 de ce débat télévisé suite à la levée du drapeau indépendantiste, au cours duquel un étudiant a argué que ceci était une “main tendue”, et qu’on “ne refuse pas une main tendue”. Des politiciens disaient que le drapeau indépendantiste était “un cadeau”. On devait sans doute se réjouir d’une telle générosité et remercier les indépendantistes de vouloir “partager” avec nous ce drapeau, symbole fort d’un choix politique dont se méfie et ne veut pas une majorité multiethnique de ce pays, mais qu’on présente pourtant comme “un cadeau” aux populations accueillies. Nous en sommes touchés… mais pas vraiment de la manière voulue. Si le caractère fallacieux (presque risible) de ces paroles n’a pas fait illusion, il faut néanmoins admettre que, par les médias, ces paroles se sont substituées à “la parole” dans l’esprit du citoyen lambda; elles ont résonné autrement, et plus fort chez ceux qui craignent le spectre de l’indépendance voulue comme étant “kanak socialiste”. La parole politique, sereine, légitime, consensuelle, voulue par les accords, voulue par tous, a été reléguée au second plan par des individus qui ont parlé et prononcé des paroles sur les sujets qui enflamment les passions, font resurgir les vieux démons.
Voilà où nous en sommes arrivés: la parole est devenue trompeuse, manipulatrice -ou bien ouvertement hostile, comme nous avons pu le constater çà et là. Elle avance masquée, depuis 2010 elle est devenue un instrument idéologique pour avancer ses pions sur le terrain, tant réel que symbolique. Après les paroles sur le “don” du drapeau, le dernier exemple, et le plus fort sans doute est l’affaire des cases la Baie de la Moselle: ceux -le comité 150 ans après- qui ont donné leur parole ne l’ont pas tenu le temps de quelques jours, mais malgré -et à l’encontre de- leur retour sur leur parole donnée, d’autres individus sont venus s’imposer et ont repris à leur compte cet écart pour justifier une occupation des lieux qui n’est rien d’autre qu’un acte politique, un acte de guerre idéologique par le sens implicite du symbole, en lieu et place d’une prétendue célébration à la fois culturelle et du destin commun. Les drapeaux indépendantistes au sommet des cases en sont la preuve irréfutable. Dans cette affaire, la parole sacrée a été détournée, désacralisée: des individus du comité “Une tribu dans la ville” ont pris la parole pour contester la légitimité de la parole des chefs coutumiers. Insolence envers le pilier central de la culture kanak de la part même d’individus qui prétendent défendre celle-ci ; un comble ! La parole sacrée, relevant du champ politique, franc et consensuel, a été balayée pour laisser place à des paroles de la rue, agressives et ethnocentrées, relayées par les médias. Aujourd’hui la parole, celle de la devise n’est plus entendue; les paroles calculées et peu rassurantes de personnes de l’arrière-scène politique se font entendre plus fort.
Depuis quelques temps, les habitants de ce pays ressentent un malaise et la confiance dans le destin commun se porte plutôt mal, pour plusieurs raisons (insécurité aux victimes “ciblées”, slogans hostiles voire insultes racistes à des moments et des lieux choisis) auxquelles se rajoute ce nouveau problème qui sème le trouble: celui de la provenance, de l’usage de la parole au sens qui a été rattaché à celui de la devise du pays, et de l’appropriation de la parole pour lancer des paroles vindicatives et revendicatives. A défaut d’être la “Terre de parole, terre de partage” qu’elle est censée être, avec tout ce que cela porte en confiance en l’autre, en stabilité, en sérénité, la Calédonie est devenue une terre de paroles, de paroles en l’air, de paroles détournées, de paroles ambiguës trompeuses, hostiles, menaçantes en demi-teinte , avec une première conséquence désastreuse dont on commence à mesurer l’ampleur : la parole, sa valeur de la parole dans la culture kanak, mise en avant dans le champ politique comme une caution morale, un socle de confiance inébranlable, s’en trouve décrédibilisée, et même, n’ayons pas peur de le dire, salie et bafouée par ces individus; ces faiseurs de paroles qui se sont appropriés ” la parole” et jouent avec sur des motifs agitateurs et fantaisistes, ont gravement porté atteinte au sens qu’elle a pris dans le domaine délicat qu’est la politique, et par conséquent à l’apaisement, à la confiance, au destin commun dont elle est une force sous-jacente. Et ceci est grave et inquiétant, car ces individus et leurs paroles ont par là-même dévoilé leur vrai visage, leurs vraies idées, et cela déteint sur toute leur communauté. Tout ceci pourrait être lourd de conséquences, car pour l’instant, à la parole de la devise ont succédé les paroles qui divisent. Divisent tout le monde.
Lemec Dici
Article intéressant à relire en 2014…
la parole donnée?en calédonie c’est prendre les enfants du Bon Dieu pour des connards sauvages