Un type très bien, grand écrivain, ambassadeur de France, aviateur, qui a fait la guerre et tout (dans le bon camp), a écrit un jour : « le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme c’est la haine des autres ». Il s’appelait Romain Gary. Il a peut-être été copié par un autre type, un peu plus grand, belle plume, ambassadeur de France à sa manière, qui a fait la guerre aussi, qui l’a gagnée, et qui a dit « Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres. » Il s’appelait Charles de Gaulle. De son côté, François Mitterrand, qui n’avait pas la tâche facile de passer après ces deux-là, s’est contenté d’un très court et très clair « Le nationalisme, c’est la guerre. »
Bref le nationalisme, ça n’a pas l’air très agréable comme concept, qu’on soit de droite ou de gauche.
Le dilemme du prisonnier, c’est quand deux gars se font arrêter sur le lieu d’un crime et interroger séparément par la police. S’ils disent tous les deux que l’autre n’y est pour rien, ils sont relâchés. Si l’un accuse l’autre mais pas le contraire, l’un s’en sort et l’autre pas. Mais s’ils s’accusent tous les deux, ils plongent tous les deux. Evidemment, dans la pratique, le meilleur choix, celui qui devrait reposer sur la confiance, n’est que rarement fait. Chacun accuse l’autre pour le plus grand malheur du taux de remplissage des prisons.
Il y-a de grandes chances que la Nouvelle Calédonie soit dans cette dernière situation, et la montée du nationalisme en témoigne.
Entre Daniel Goa qui veut s’en servir pour rassembler au-delà du camp indépendantiste et gagner la majorité au Congrès, Eric Gay qui a inventé à l’insu de son plein gré le concept des « pas-d’ici » lorsqu’il faisait encore de la politique, Jacques Lalié qui tente avec son article sur Newsring de se rallier les caldoches qui seraient « délaissés par le système », on le sent monter en puissance. Même la gentille Sylvie Robineau s’y est mise sur RRB le 26 mars dernier, en parlant du « calédonien de souche écrasé entre le métropolitain et le kanak. » Je me suis demandé en entendant ça si elle n’avait pas fumé la dernière mouture de son plan contre le tabac, et j’ai pensé ensuite que j’étais bien puni de n’avoir pas déprogrammé RRB de mon autoradio comme je m’étais promis de le faire.
Chacun aurait donc une bonne raison d’être nationaliste, mais est-ce pour autant du même nationalisme qu’on parle ? Les moyens d’assumer ce positionnement, ou plutôt de l’assouvir dans certains cas, semblent diverger profondément.
Les kanak indépendantistes veulent la pleine souveraineté, le détachement absolu pour maîtriser pleinement leur destin. Ils veulent être « bien chez eux avec les autres et non pas mal chez eux à cause des autres » (Roch Wamytan). Cette phrase, qui a l’air d’être une bonne formule, en dit d’ailleurs tellement long sur le fond du problème qu’elle en est édifiante. On y retrouve pleinement la notion de nationalisme fondé sur le rejet de l’autre plutôt que sur l’amour d’une nation.
De leur côté, les calédoniens loyalistes peuvent se sentir un peu perdus, entre des métropolitains qui seraient supposément de « vrais français », et des indépendantistes qui ne veulent pas l’être, alors qu’eux se sentent en même temps français et calédoniens, comme si cela était dissociable. Prisonniers du préambule de l’accord de Nouméa, en quelque sorte, dans lequel l’Etat assoit la légitimité kanak sans parler de la leur, si ce n’est au travers de la participation historique de leurs ancêtres à la construction économique du pays. Vous parlez d’une légitimité à être de ce pays, il s’agit de celle au titre de laquelle ils pourront à l’avenir « continuer de contribuer à son développement. » D’une certaine manière, si on n’est pas kanak il faudrait payer de son travail (« contribuer ») pour être légitime à rester. En toute franchise, du point de vue d’une certaine dignité, je ne vois pas comment même les kanak pourraient accepter cette proposition, eux qui rejettent l’idée de l’assistanat et prônent la prise de responsabilité.
Finalement toutes les définitions qui associent un groupe ethnique et des choix politiques (kanak indépendantistes, calédoniens loyalistes) ont une limite : elles sont réductrices et assimilatrices. Tous les kanak ne sont pas indépendantistes, la conférence de presse des « kanak yannistes » du 22 mars dernier en témoigne si besoin était. Et tous les indépendantistes ne sont pas kanak non plus, ce qui ne date pas d’hier ! C’est le problème du nationalisme : il confond les origines ethniques et les choix politiques. Il fait oublier que tous ces gens dont on parle vivent sur la même île et il les pousse les uns contre les autres, comme les prisonniers qui pensent chacun de leur côté que leur salut dépend de l’emprisonnement d’un autre qu’eux.
Pour autant, ceux des calédoniens qui considèrent qu’il existe des « d’ici » et des « pas d’ici », broyés par on ne sait quel syndrome de Stockholm, pourraient trouver dans ce sentiment une motivation pour se rapprocher de l’idée d’un nationalisme calédonien. Apparemment, ça a été le cas pour Pierre Frogier avant les deux drapeaux et ça semble être le cas pour quelques autres encore. Si la motivation, la recherche identitaire, est la même pour tous, peuvent-ils seulement se rendre compte que cette quête est beaucoup plus lourde du côté des kanak et que les objectifs qui en découlent sont radicalement différents ? Que nous réserve la prise de conscience de cette différence d’objectifs, si elle arrive alors qu’il est déjà trop tard ? Cet égoïsme dans les objectifs est la source du problème entre les deux prisonniers, qui ne pensent pas une seconde faire confiance à l’autre pour qu’ils s’en sortent mieux ensemble. Cet égoïsme est regrettable mais il est pourtant parfaitement rationnel, puisqu’effectivement, dans chaque cas ou presque, chacun accuse l’autre !
Cette véritable montée des nationalismes n’est peut-être pas totalement accidentelle, mais elle relève plus d’un concours de circonstance que d’un véritable alignement idéologique. Alors que les mouvements indépendantistes sont nationalistes depuis l’origine, le soi-disant « nationalisme caldoche » n’est poussé que par quelques politiques qui ont maladroitement tenté d’imposer l’indépendance association à ceux qui leur faisaient confiance. Les indépendantistes, qui ont vu là une opportunité électorale sur le chemin de la majorité qualifiée au congrès, s’engouffrent maintenant dans la brèche. Ils proposent une jolie carte postale politique sur laquelle ils inscrivent à l’intention des victimes de l’histoire : « Soyez accueillis en Nouvelle Calédonie par le peuple premier ». En tous petits caractères, au pied de la photo d’une magnifique plage de sable blanc à l’arrière de laquelle se dresse sûrement une case arborant les deux drapeaux, on pourrait lire : « Slogan non contractuel. »
Dans ce contexte, une commission pour trouver un drapeau commun a été créée le 22 mars au congrès. On ne peut que lui souhaiter les meilleures chances d’aboutir, mais quelles sont-elles, ces chances ? Un drapeau relève de la génération spontanée et naît sur le socle de valeurs communes, et nous en sommes à chercher un drapeau pour en faire une valeur commune. Au mieux, nous risquons d’avoir le moins mauvais dénominateur commun, le projet qui n’aura pas beaucoup de sens mais qui ne heurtera personne, et auquel personne ne s’attachera suffisamment pour abandonner son propre emblème. Le drapeau sera trouvé, et aucun chemin n’aura été parcouru. Nous aurons trois drapeaux sur les édifices publics pour des raisons juridiques, est-ce que ce sera un préliminaire efficace pour redescendre les deux anciens, à terme ?
Entre l’assimilation et le nationalisme, il y a pourtant un passage. C’est le destin commun. Le terme a été utilisé tellement souvent qu’il s’en est trouvé vidé d’une partie de son sens. Et si on le ressuscitait ?
En parallèle de la recherche d’un drapeau rendue juridiquement incontournable, mais menée dans un contexte où les valeurs communes nous fuient, peut-être pourrait-on instituer des commissions spéciales du destin commun, au congrès et au sénat coutumier, chargées de travailler à tout ce qui nous rendrait un peu mieux chez nous chez nous : comment rendre à l’école son rôle républicain dans notre contexte calédonien, comment trouver un terrain d’entente pour que les enfants puissent communiquer entre eux dans une langue d’ici dans les cours de récréation, comment intégrer la coutume à l’économie (et non pas le contraire), comment éponger efficacement le sentiment d’injustice sociale, qui a toujours et partout été le moteur du nationalisme, etc.
Il est impossible d’imaginer que personne n’ait déjà réfléchi à ces sujets, et d’ailleurs tout le monde est probablement certain dans son coin d’avoir déjà quelques réponses. Mais tout cela a sûrement été fait en ordre dispersé, et n’a en tous cas pas encore abouti à des changements visibles. Cette proposition semble très utopique, mais si on n’arrive pas à faire ça, le destin commun ne dépassera jamais son stade grammatical, celui d’un nom commun suivi d’un adjectif qualificatif.
Nous avons par le passé été condamnés à l’opposition frontale, et nous risquons aujourd’hui la sentence de l’indépendance (association), poussée par le nationalisme. Comme dans le dilemme du prisonnier, toute absence de choix unanime basé sur une confiance sainement acquise nous privera de la meilleure issue possible, celle où les deux prisonniers sortent libres.
MAGELLAN
” calédonien de souche écrasé entre le métropolitain et le kanak.” pourtant j’en connais qui sont pas à l’étroit sur la côte ouest … pas plus subit la présence des uns que l’éventuelle arrivée des autres … sûr qu’être contraint d’ouvrir 5 portails pour sortir de chez soit, ça fait étriqué !!! Peut être qu’une nouvelle distribution s’impose, parce que les seuls qui se sentent écrasés à l’heure actuelle se sont les jeunes de toutes ethnies, ” circulez y’a plus rien pour vous !”
“”pour que les enfants puissent communiquer entre eux dans une langue d’ici dans les cours de récréation”. Ne vous inquiétez pas, Magellan. Tous les enfants du monde savent très bien communiquer entre eux dans une cour de récréation. Il existe cependant une cour de récréation où les enfants ont besoin d’interprètes : on appelle çà l’ONU.
Pour mémoire, au lendemain de la guerre, les Algériens avaient demandé aux pieds-noirs de s’unir à eux dans une démarche commune envers la France. Ceux-ci ont répondu: nous sommes des Français d’Algérie… Et ils se sont condamnés par cette définition d’eux-mêmes. On n’arrête pas le temps.
Il faudrait, à un moment , être cohérent:
On nous serine à longueur de discours d’experts, que la Calédonie a un “statut unique”, et qu’elle serait un “laboratoire pour de nouvelles solutions”. On nous interdit, par exemple , de la comparer au Vanuatu, d’un “c’est pas pareil”, qui balaie toute mise en parallèle…
Alors, S’il vous plaît, cher Professeur: n’utilisez pas des argument caduques…
Quatre lignes à peine pour résumer la période 1945-1962 sous la forme d’une sentence prophétique. Nous sommes bien dans l’air du temps, c’en est à se demander si le référendum d’autodétermination est bien nécessaire. Mince c’est vrai il est dans l’accord de Nouméa, on est obligés de faire semblant d’aller voter. Bon je vous laisse, je file apprendre l’arabe.
“Cette véritable montée des nationalismes n’est peut-être pas totalement accidentelle, mais elle relève plus d’un concours de circonstance que d’un véritable alignement idéologique”
Tu peu développer le concours de circonstances? Moi j’y vois plutôt une manipulation de toute pièce non ?
J’ai parlé de concours de circonstance parce que j’imagine que les indépendantistes ne rêvaient même pas de la voie royale qui allait leur être réservée. Pour eux, c’est un concours de circonstance. Ils sont nationalistes depuis toujours et voilà qu’une bande de “d’ici” décrètent, rouleau-compressés par l’accord de Nouméa, qu’il faut faire des coalitions avec les indépendantistes, leur ouvrant une perspective de majorité au congrès. Que font-ils ? Ils sautent dessus !
Par contre, nous, j’ai l’impression qu’on se retrouve effectivement dans le rôle des manipulés comme d’habitude.