Les Contributions

N’agis pas pour nous, nous n’avons pas besoin de toi pour réussir

28/07/2013

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« Ceux qui pensent que les régimes communistes d’Europe centrale sont exclusivement la création de criminels laissent dans l’ombre une vérité fondamentale : les régimes criminels n’ont pas été façonnés par des criminels, mais par des enthousiastes convaincus d’avoir découvert l’unique voie du paradis. »

Kundera, L’Insoutenable légèreté de l’être.

La brochure où la Province Sud recommande un régime de petits pots parfaitement diététiques et économiques pour 18 000 F mensuels a révélé combien cette institution considérait sa population comme un peuple de nourrissons immatures et dépensiers et à quel point ses dirigeants étaient aussi convaincus « d’avoir découvert l’unique voie du paradis ».

L’inévitable et envahissant slogan « La Province Sud agit pour vous », sur les ondes, les écrans, les journaux, les affiches, le Net, ainsi que la dernière campagne « Pour réussir j’ai besoin de toi », destinée aux mauvais parents que nous sommes, sauvés par la providentielle Province, attestent cette volonté d’omniprésence tentaculaire et d’infiltration systématique dans tous les aspects de nos vies.

À la suite du scandale de la miraculeuse multiplication provinciale des pains à 18 000 F, les déclarations du directeur de la communication et de la présidente de la Province Sud, qui s’est défaussée peu courageusement sur ses fonctionnaires, ont maladroitement révélé qu’ils éditaient « 150 brochures à l’année, 500 informations presse, 100 spots radio, une cinquantaine de campagnes publicitaires, des films, des pages Face-book ». Rien que ça ! Y’a pas à dire, la Province agit pour nous, mais aussi pense pour nous, décide pour nous, rêve et délire pour nous. Pour 18 000 F ? Peut-être pour un peu plus… mais notre bonheur et notre paradis n’ont pas de prix apparemment !

La Province Sud et le Mont-Dore, dont les dirigeants furent souvent et durablement les mêmes, offrent l’exemple le plus pur de ce programme et de cette volonté d’infiltrer et d’occuper tous les domaines de la vie du citoyen, y compris dans ses aspects les plus privés. Si l’on comprend que la sécurité, la circulation, l’urbanisme, l’enseignement, l’économie soient des préoccupations et des compétences légitimes pour un maire ou un président de collectivité, on saisit moins bien pourquoi ils cherchent à envahir nos assiettes et à nous imposer ce nouveau « soleil vert » qu’un état totalitaire infligeait à son peuple pour son bien-être dans le prémonitoire « Soylent green ». On conçoit moins bien que Super Nanny Cynthia envahisse les panneaux publicitaires et nos écrans de télé pour nous donner des leçons d’éducation et que Super Mayor se décrète protecteur exclusif des femmes, des jeunes, des handicapés, pérennisant au demeurant des cloisonnements et des étiquetages d’un autre âge. On se demande pourquoi le sport, la culture, les loisirs, la nature, espaces de liberté en principe, doivent intégralement passer sous les fourches caudines et à travers les grilles filtrantes municipales et provinciales, et pourquoi les initiatives, quelles qu’elles soient, sont méthodiquement contrôlées et monopolisées.

Ce projet et ce désir d’investir et d’organiser systématiquement nos existences ne sont pas sans rappeler les phalanstères du XIXème, les kibboutz et les kolkhoz, les planifications asiatiques, le monde orwellien sous surveillance de “Big Brother”. Mais bien loin de moi l’idée que toute cette propagande et ce noyautage de nos pensées et de nos activités n’aient pour but que la manipulation, les visées électoralistes et la prise de pouvoir, ne soient que l’héritage et la suite des démarches paternalistes coloniales, que cette omniprésence ne vise que l’omnipotence, que notre présidente soit une « Big Sister ». Je suis persuadé que cette approche condescendante et cette gestion infantilisante des gens relèvent aussi d’une intention bienveillante et vaguement judéo-chrétienne de nos dirigeants à l’égard de ces citoyens qu’il faut diriger et protéger malgré eux, cette démarche leur donnant une bonne conscience et l’autosatisfaction du devoir accompli. Cette confiance en soi, en sa mission et en son action juste, chez un maire ou une présidente, explique la révolte outrée, le sentiment sincère d’injustice et les excès de colère de ces derniers à la moindre critique. Mesdames et messieurs, n’agissez plus pour nous, nous n’avons pas besoin de vous pour réussir, nous pouvons nous passer de vous, ne vous en faites pas, l’enfer est pavé de bonnes intentions, votre paradis est loin du nôtre, nous préférons passer à côté.

Jeffrey Tardy, 28 juillet 2013