Palabres sur préalable

Avez-vous remarqué aussi qu’au pays du palabre et de la parole donnée, c’est souvent le non-dit qui permet de comprendre ce qui paraît inexplicable ?

André Dang a évoqué sur Nouvelle Calédonie Première la possibilité de voir la Province Sud entrer au capital de la SMSP. Si la première réaction est sans doute de penser que « c’est bien », que « ce serait une bonne chose » d’avoir « une vision pays » sur le nickel, peut-être est-il important d’y réfléchir un peu. Faut-il avoir une « vision pays » avant ou après l’entrée au capital de la SMSP ? Pourquoi est-ce un homme d’affaires et non pas un homme politique qui fait une annonce aussi lourde de sens dans ce pays ? Quel est donc l’intérêt de la SMSP d’accueillir un nouvel actionnaire qui n’a a priori pas les mêmes objectifs que son actionnaire majoritaire actuel ?

Inutile de ménager le moindre suspense : la SMSP est sur le fil du rasoir. Ses centres miniers souffrent d’un manque de compétitivité chronique et, dans le contexte actuel de cours du nickel bas, perdent beaucoup d’argent. Les emprunts massifs qu’elle a contractés pour injecter des fonds dans KNS, 38 milliards CFP au total (5% du PIB de la Nouvelle Calédonie), pèsent lourdement sur ses comptes. L’usine de Corée, qui fonctionne apparemment très bien, peine à payer pour tout cela. Et ce n’est pas fini. A l’heure actuelle, la SMSP ne paye que les intérêts de ses « emprunts KNS », pas encore le capital. Dès qu’ils commenceront à être remboursés, ce seront 3 milliards par an au bas mot qui devront être payés par SMSP. Et les traites complètes vont commencer à tomber en… juin 2014, date symbolique s’il en est.

Si le mécano financier d’André Dang tousse, la SMSP risque de s’effondrer, coincée entre des traites absolument massives et un horizon de rentabilité encore trop lointain pour compter dessus, surtout avec un cours du nickel très bas pour un petit moment encore sans doute. Une sacrée traversée du désert en perspective, de celles qui mettent à mal les aventuriers du nickel les plus décidés.

Et s’il faut recapitaliser la SMSP pour lui permettre de tenir le choc dans l’attente du plein effet du doublement de capacité de l’usine de Corée et des premiers subsides de KNS, le trésor de guerre de la Province Nord, gigantesque à l’échelle de la Nouvelle Calédonie, risque de s’avérer très juste. En pensant à tout cela, on sourit au souvenir de l’époque où André Dang proposait de lancer une OPA sur Eramet… (qui vaut 250 milliards CFP en bourse à l’heure actuelle).

L’appel d’André Dang à une entrée de la Province Sud au capital de la SMSP n’a donc rien d’un geste réconciliateur entre les communautés, et il ne vise pas non plus uniquement l’accès aux caisses de la Province Sud, encore trop maigres pour ses besoins. Il vise aussi et surtout le domaine minier de la SLN, contrepartie essentielle de l’entrée de la Province Sud chez SMSP mais curieusement pas mentionnée à la télévision, on se demande pourquoi. C’est donc une remise sur le tapis de la prise de contrôle de la SLN par la Calédonie. Belle idée populiste qui cache en fait un rouage essentiel de la stratégie nickel des indépendantistes.

Au fond André Dang fait ce qu’il a toujours fait : s’appuyer sur la politique pour assurer le développement de son entreprise. A vrai dire cela n’a rien de terriblement original, et de toute façon dans le nickel en Calédonie, on ne voit pas très bien comment faire autrement. Le vrai souci, c’est qu’à force de mélanger l’économie et la politique, on peut prendre de mauvaises décisions. Il n’y-a que deux manières de voir les choses : au travers du prisme de l’économie ou de celui de la politique.

L’économie : un nouvel actionnaire entre pour accompagner la société sur le long terme, mais avec quel objectif ? Financer l’indépendance ou accompagner le développement de la Nouvelle Calédonie ? Si c’est pour financer l’indépendance, il faut exploiter massivement le nickel pour en tirer le plus de profits le plus vite possible. Pour cela il faut des usines à l’étranger qui coûtent moins cher à construire et qui enrichissent plus la SMSP, au détriment des calédoniens qui n’y travailleront jamais. Si c’est pour le développement de long terme du pays, il faut utiliser le nickel comme un levier pour développer le reste de l’économie, et ça prend beaucoup plus de temps que l’horizon de l’accord de Nouméa n’en donne.

La politique : si la SMSP a des difficultés, les indépendantistes pourraient se mettre à penser que l’indépendance n’est pas viable. Cela risquerait de craqueler l’image de la belle réussite de l’usine du Nord et aussi près d’échéances politiques importantes, cela n’est pas acceptable pour eux. André Dang, pour obtenir ce dont il a besoin, peut donc surfer à la fois sur le souhait intangible de la population d’avoir une « stratégie minière pays » pour construire le « destin commun », et sur le rêve des double-drapistes que faire des concessions unilatérales permettrait de ne plus revivre les évènements. En témoigne le soutien affiché par l’UC à sa proposition.

On voit bien que la politique, dans ce domaine, prime largement sur l’économie.

Tout le jeu consiste donc à placer ses pions sur l’échiquier avant le scrutin d’autodétermination. Si la SMSP tient le coup et obtient l’exploitation du domaine minier de la SLN, les indépendantistes afficheront sur d’immenses panneaux publicitaires que l’indépendance économique est acquise. Ce qui ne sera absolument pas vrai, mais l’exactitude scientifique et le marketing politique n’ont rien en commun. Dans le cas contraire, ils seront en position de faiblesse dans les négociations de sortie de l’accord, à chercher des sous pour sauver le soldat SMSP. Comme ils seront en plus dans une situation où après avoir obtenu l’usine du nord, les Provinces, la reconnaissance du fait colonial, les transferts de compétence etc. des violences ne seront plus justifiables politiquement, cela risquerait de sentir le roussi pour l’indépendance pure et dure.

Mes amis, votez bien en 2014. On n’a probablement jamais eu autant besoin d’un vote intelligent à des élections provinciales.

MAGELLAN