QUI FAIT PEUR ?

Cette nuit du réveillon fut à tout point de vue très pédagogique. Festivité inexistante, restaurants vides et lieux de réjouissance déserts pour cause de peuple…absent. Aujourd’hui, demain et encore plus les jours suivants on incriminera la rumeur. Déjà les médias s’y sont mis. Au journal télévisé, on nous a dit que les « gens ont eu peur » à cause d’elle. Dans le quotidien, on lit que depuis plusieurs semaines « les rumeurs les plus folles ont circulé sur la toile » ce qui a expliqué la « faible affluence en ce jour de fête ».

En toile de fond, il faut bien comprendre que celui qu’on incrimine en sous-entendu c’est avant tout le peuple. Une sorte de bouillie d’individus égotiques qui serait, à en écouter certains, constitué uniquement de « crétins », de « veaux » et de « moutons de Panurge ». Nous serions donc tous des débiles profonds. La vérité c’est qu’en ce 31 décembre 2013, comme rarement, les Calédoniens ont eu peur de sortir de chez eux, de chez leur famille ou leurs amis. Peur de subir des désagréments, des ennuis, des attaques ou bien pire encore.

Mais face au sage qui montre la lune, les commentateurs regardent l’idiot qui désigne son doigt. Le problème ce n’est pas que les gens aient cru cette rumeur. Le problème c’est qu’on les a mis dans l’incapacité d’en douter. Car plusieurs évènements récents ou anciens les ont poussé à croire tout cela vraisemblable justement parce qu’il s’agissait de l’entrée en 2014. A mon sens, il existe un seul responsable de ce climat de peur « qui prend ». Car la peur ne peut exister, grandir et se développer que sur un terreau particulier et celui-ci a été mis en place par une caste parfaitement identifiée : celle de nos politiques.

Qui, en effet, a déclaré publiquement « 2014, c’est Kanaky !» si ce n’est Louis Kotra Uregei, élu au congrès, signataire de l’accord d’Oudinot et président du Parti Travailliste ?

Qui, en effet, a déclaré publiquement que « 2014 serait une année terrible », que « l’économie était en chute libre » et qu’il « pourrait y avoir des troubles à l’ordre public dans la nuit du 31 » si ce n’est Harold Martin, maire de Paita, signataire de l’accord de Nouméa et président du gouvernement ?

Qui, en effet, a déclaré publiquement que « nous sortirons de l’accord de Nouméa de toute façon indépendants », qu’il fallait mettre en œuvre un « Top 2014 » parce que « l’indépendance est inéluctable », si ce n’est Daniel Goa, successeur de Jean-Marie Tjibaou comme président de l’Union Calédonienne et élu au congrès ?

Qui, en effet, a incité publiquement des jeunes de sa tribu « à camoufler leur visage et à nier tout en bloc » s’ils étaient interpellés par les forces de l’ordre, si ce n’est Roch Wamytan, signataire de l’accord de Nouméa, élu de l’Union Calédonienne et aujourd’hui président du congrès ?

Ce sont ces déclarations-là, non-exhaustives, que les commentateurs devraient pointer du doigt, étudier, analyser et juger. J’affirme que ce sont elles qui ont créé, élevé et amplifié cette peur de l’autre et du futur que ressentent beaucoup de Calédoniens et qui a rattrapé le réel en cette nuit du nouvel an.

La parole d’un responsable politique est sacrée. Elle doit en démocratie couvrir le tumulte du quotidien et les intérêts particuliers, répondre aux problèmes, fixer un cap et toujours promouvoir la paix et le vivre-ensemble. Lorsque cette parole est réductrice, mensongère, politicienne et provocatrice elle engendre du doute, des clivages, de la haine et de la peur.

Le fait, aujourd’hui, de culpabiliser internet, la rumeur et les milliers qui ont eu peur n’est rien de plus qu’un enfumage bien pratique qui permet de ne pas aborder sereinement et sérieusement la situation calédonienne et les discours prononcés par ceux qui sont au pouvoir. Un enfumage qui nous fait oublier où sont les vrais responsables : juste devant nos yeux.

Du reste, la peur n’est pas inutile si elle pousse les gens à se protéger du danger. A sauver leur intérêt ou à se prémunir du mal. En cette nouvelle année 2014, j’espère de tout mon cœur que les Calédoniens sauront s’en débarrasser ou, du moins, l’utiliser à bon escient.