La rumeur, les faits, le bilan

Le sujet “Harold Martin : il pourrait y avoir des troubles dans la nuit du 31” aura fait sur Calédosphère 11000 lectures — c’est beaucoup — pour annoncer quelque chose qui a fait, comme dirait Chirac, un gros psscchhiittt. Le résultat, c’est un réveillon d’une tristesse totale, une ambiance cassée. Intéressant, le commentaire du Haut-commissaire pour qui ” la blogosphère s’est auto-enflammée “.

Il y a certainement des observations et leçons à tirer de cette histoire qui n’est pas peu banale. Comme on le sait, un des charmes de la Calédonie, c’est d’être le pays des rumeurs, et donc des ” racontards “. Et bien sûr, pour replacer les choses dans leur contexte et surtout leur époque, internet a fait le reste, et a démultiplié l’intensité de ce charmant aspect culturel de notre pays. Facebook étant le réseau social le plus important en Calédonie, on peut supposer sans trop risquer de se tromper que c’est sur ce site que la rumeur aura pris toute son ampleur, et peut-être démarré.

On aura donc vu, pour ce 31 décembre 2013 calédonien, un événement bien moins anodin et plus lourd de conséquences que cela. Pourquoi ? parce que les réseaux sociaux se sont imposés, dans le monde et ici en Calédonie, comme des réseaux parallèles d’information, palliant parfois les carences des médias officiels, ou bousculant les omertas dans l’intérêt des citoyens et de la vérité. Ils sont devenus de véritables médias de part leur succès et leur capacité de diffusion, et aussi par une certaine légitimité; celle d’informer lorsque le pouvoir cache ou désinforme.

Mais cette fois-ci, qu’avons-nous vu ? Nous avons vu l’auto-information citoyenne de la génération internet s’emballer et annoncer quelque chose qui n’a pas eu lieu, qui peut-être ou sans doute n’a jamais été fondé. La rumeur calédonienne et la puissance d’internet ont conjugué leurs forces pour que la première se plante toute seule. Nous avons assisté à la naissance de la facebookonnerie “made in Caledonia”; on aura vu dans le cyber-monde calédonien un événement, une rumeur pour ce qui aura été un non-événement dans le monde réel. Espérons qu’elle nous en fera pas trop des comme ça; on en a pas besoin.

Et on peut s’interroger, sans espérer trouver la réponse, sur les ” coupables “ et les raisons de cela. Une conversation dans laquelle des hypothèses se sont transformées en certitudes, et qu’on n’a pu s’empêcher de mettre sur le net ? Quelques jeunes qui ont déliré “on va faire ça” et au fil des lectures par d’autres les choses se sont emballées toutes seules. Et la “tension verbale”, à savoir les paroles et attitudes de certains politiciens, y ont peut-être leur part de responsabilité indirecte dans cette cyber-mécanique incontrôlable.

Au 1er janvier 2014, les Calédoniens doivent se sentir un peu idiots, un peu désorientés devant ce qui vient de leur arriver, devant ce nouvel an gâché, devant quelque chose qui pourrait presque être décrit comme une “auto-ridiculisation”. Le Président du Gouvernement lui-même, dans un souci d’information et de prévention, a aussi fait les frais de cette histoire; il en est aujourd’hui un peu comme une victime collatérale. Il a dû apprécier la mauvaise plaisanterie…

Il est temps maintenant, pour tout ceux qui ont engendré et contribué à la propagation de cette rumeur sur le net de s’interroger sur eux-mêmes, sur le pouvoir d’internet, sur les effets que peuvent avoir mille esprits et mille claviers qui spéculent et s’emballent. Cette affaire qui heureusement s’est bien terminée ne peut s’en aller et être oubliée sans qu’on en fasse une analyse minimale; elle nous a révélé une certaine dangerosité du net, et peut-être par là-même une nouvelle facette de la fragilité de ce pays.

Plus que jamais, la Calédonie est un pays où on doit faire attention à ce qu’on dit, mais aussi faire attention à ce qu’on écrit sur internet. C’est une responsabilité collective. Que cette affaire en soit une leçon.

Mister Eric