LA TRÊVE ARMÉE DES CONFISEURS

D’ordinaire, en Nouvelle-Calédonie, dès que fleurissent les premiers Flamboyants, s’ouvre une parenthèse alanguie de trêve politique, immuablement étendue de décembre à février, période de « bravo l’été » où rien ne se passe, rien ne se crée, rien ne se dit, et ce depuis la nuit des Temps, en tout cas d’aussi loin que les derniers des rumposaures s’en souviennent.

Mais là, ce n’est pas pareil. C’est que voyez-vous, on est en 2014, à l’orée de la dernière mandature de l’Accord de Nouméa, celle de l’implacable point numéro 5, du triple référendum et de la « situation ainsi créée », celle à peine entrevue en 98 par 71% des Calédoniens et qui pourtant, se présente désormais à nous, telle une météorite qui, peu à peu, prendrait possession de l’ensemble de notre champ visuel.
Depuis quelques semaines, certaines prémices donnent à penser que le tempo de la partition sera plus vif, plus andante que celui des années précédentes. Pour preuve, l’attention toute particulière portée aux listes électorales, inscriptions massives d’un côté, et radiations anecdotiques de l’autre, ces dernières pourtant exigées à une échelle génocidaire, sur tous les modes déclamatoires par les indépendantistes et leurs exégètes, au premier rang desquels bien sûr, l’ineffable Mathias. Pour ceux-là, la potion est amère, exception faite de notre Nostradamus institutionnaliste, car sachez que Chauchat échaudé ne craint nullement l’eau froide et qu’il n’hésitera pas à replonger dans le bain de la prédiction hasardeuse, quitte à se prendre un nouveau bouillon juridique.

Bref, pour nos politiques, point de répit, point de confiseurs, il s’agit de marquer son territoire.

À commencer par notre Président polyglotte du Congrès. Trois langues s’il vous plait, le français d’abord, par accident sans doute, celle, ensuite, de la jeunesse de Saint-Louis, telle qu’il la déclina dans le journal Le Monde trois ans plus tôt, l’anglais enfin, outil linguistique indispensable lorsqu’on est ambassadeur plénipotentiaire, que ce soit chez Ferrero Rocher où à la pointe du Fer de Lance. Ce fut sans doute dans le but louable de tester ses connaissances qu’il adressa ses vœux aux Calédoniens dans l’idiome des fils d’Albion. Attendait-il qu’on lui corrigeât quelque menue erreur syntaxique avant de poster la chose à son correspondant habituel, le Commodore Baïnimarama, prince fidjien des libertés syndicales, héraut des démocraties océaniennes ? Mystère et boules de caillasses. En tout cas, eu égard à l’avenir que tous deux nous préparent, il ne serait sans doute pas superflu qu’on se mette au mandarin et au pinyin.

Simon Loueckhote, quant à lui, du haut de ses 960 électeurs de 2009 se verrait bien Général en chef d’une armée déferlant sur les Îles. Ce grand connaisseur de l’Histoire de France ne peut pourtant ignorer qu’à Waterloo, on attendait Grouchy, ce fut Blücher et tout s’acheva par le mot de Cambronne. Ayant eu vent d’une substitution éventuelle de sa candidature par celle d’une femme loyaliste autant que loyaltienne, il n’a eu dès lors de cesse de nous signaler le danger, les femmes sont partout, y compris en politique et ça ne va pas du tout. Dans cette défiance pathologique, notons qu’il rejoint notre basketteur atrabilaire du Mont-Dore, rieuse cité des voitures torchères, où peu à peu décline, dans toute sa suffisance, l’astre funeste rumpoïde.

Il y eut ensuite, peu avant l’année nouvelle, le président du gouvernement, Harold le quatrième, qui s’inquiéta ouvertement du déferlement de hordes venues du Nord. Sans doute lui avait-on offert pour son Noël l’intégrale de Game of Thrones et s’y était-il trop immergé. Quoi qu’il en soit, réalisant peu après qu’il risquait en cette occurrence de passer pour le Paco Rabanne Calédonien, célèbre couturier qui avait prédit la chute de la station MIR sur la population gersoise, il se ravisa, allant jusqu’à qualifier de « risibles » ses propres craintes.

Dans le même temps, ou presque, la présidente de la province sud nous annonça qu’elle attendait la nouvelle année avec « sérénité et enthousiasme ». On est tous bien contents pour elle mais on ne s’empêchera de penser qu’elle aborde les échéances futures avec une certaine désinvolture. Il est vrai qu’avec le Sudoku, dont elle est adepte, madame Ligeard ne peut pas perdre le nord, en face forcément. Elle s’inquiéta néanmoins du « déficit structurel de la Province Sud », déficit auquel nous la remercions d’avoir contribué à hauteur de 1 milliard grâce à la suppression des péages.

Reste monsieur Yanno, qui, entre deux propos martiaux et sécuritaires de premier adjoint leveur de drapeau FLNKS amnésique, a appelé de ses vœux le déplacement de l’aérodrome de Magenta, ce, bien entendu, sans la moindre arrière-pensée électoraliste, idée d’une audace inouïe, quoique déclinée depuis des lustres par une multitude d’experts et de politiques, notamment dans le projet NC 2025. Afin de complaire à l’une de ses associées de l’Union pour le Crédit et la Finance, il a suggéré, comme chacun sait, de transférer la structure aéroportuaire à Koutio au milieu de la baie, à la grande joie des Dumbéens on imagine, sabordant du même coup la candidature municipale de Gil Brial. Que voulez-vous, c’est ainsi, Paris vaut bien une messe et Nouméa quelques menus dommages collatéraux.

Depuis, monsieur Yanno est, semble-t-il, en congés. Il ne serait pas invraisemblable de le croiser à Paris, dans quelque flânerie nostalgique, du côté du pont de la Concorde, où on a vue sur le Palais Bourbon… Sans doute médite-t-il l’évidence qu’on ne peut, en même temps, être et avoir été.

Calcyt. (Tristan Derycke)