Des lendemains qui ne chantent pas

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Un épisode abstrait s’est produit au Congrès lors de la mise au vote du texte modificatif de la TGA. Sur chaque article de la loi, tous les conseillers de la Nouvelle Calédonie se sont abstenus, tous partis confondus. Comme une majorité est nécessaire pour valider un article, le texte de loi sur lequel tout le monde s’est aussi abstenu n’en comportait plus aucun.

Le discours des élus pour justifier ce mouvement politique étrange était assez aligné, mais pas si clair que cela à bien y réfléchir. Calédonie Ensemble et le FLNKS, par la voix de Caroline Machoro, et y sont allés de concert pour dénoncer la perte de recettes fiscales si le taux était de 6% et le risque inflationniste accru d’un taux supérieur. D’après ce qu’on peut en comprendre en suivant un peu les débats et en lisant la presse :

  • Si on ajoute des exonérations pour certains produits de première nécessité, qui n’étaient pas prises en compte dans le premier calcul d’un taux à 6%, il faut monter le taux pour rattraper le manque à gagner fiscal,
  • Si on n’ajoute pas d’exonérations sur ces produits de base, les politiques sont contre au motif que tout le monde paye la TGA de la même façon quels que soient ses revenus, riche ou pauvre.

Dit comme ça, tout cela a encore l’air de se tenir. Mais au fond on a peut-être déjà quitté la terre. Ajouter les exonérations que les élus demandent conduit à un manque à gagner que les élus refusent parce qu’il faut préserver les caisses publiques, ou alors à une hausse de taux que les élus refusent aussi pour préserver le pouvoir d’achat. Finalement, quand on lève des impôts, on prend de l’argent aux gens : c’est bon pour les caisses publiques mais pas bon pour le pouvoir d’achat. Quelle découverte !

Ajoutons à cela que dire que tout le monde paye autant de TGA quels que soient ses revenus est un petit peu démagogique, puisque jusqu’à preuve du contraire un ménage aisé qui achète un écran plasma de 165 cm à 590 000 F aurait payé, selon mes humbles calculs, presque 10 fois plus de TGA qu’un ménage modeste qui se serait offert une télé LCD de 81 cm à 59 800 F. Pour faire ces calculs, j’ai pris une TGA à 7% parce que là où les deux ménages payeraient autant de TGA c’est évidemment sur les produits de première nécessité : pain, riz, farine etc. Or avec des exonérations, qui conduiraient à monter le taux, ces produits ne seraient plus taxés et le manque à gagner serait comblé par un taux supérieur, dont le produit viendrait surtout … des ménages qui consomment le plus, par définition. C’est exactement pour cela que l’intersyndicale réclamait un taux à 0%, dont les effets sont les mêmes.

Alors où est le problème ? Tout cela, aucun élu ne pouvait l’ignorer. Des années de travail sur ce texte ne permettent pas de douter que la mécanique de la taxe était bien comprise. Alors pourquoi ont-ils rejeté le texte, en adoptant des arguments illogiques, et au final partagés par le FLNKS qui a toujours voté pour et Calédonie Ensemble qui a toujours voté contre ?

Je verrais trois raisons à cela. La première demande de remonter aux origines de la réforme. Les motivations annoncées dans une délibération-cadre de 2011 étaient la simplification, l’équité, la compétitivité, le financement pérenne de chaque niveau de collectivité. Simplification : blabla pour faire bien. La fiscalité c’est toujours compliqué, les élus s’en fichent tant qu’il y-a des sous au bout. Equité : souci de gauche. Compétitivité : souci de droite. Financement pérenne de chaque niveau de collectivité : clé de répartition. Indépendantistes d’un côté, non-indépendantistes de l’autre.

Cette délibération-cadre de 2011, par contre, avait bien été votée. C’est ce qu’on sait faire de mieux en Calédonie : mettre tout ce que chacun veut entendre dans un texte, gauche et droite, indépendantistes et non-indépendantistes confondus. Le problème vient quand il faut prendre une décision. Certains y cherchent « leur » équité, d’autres « leur » compétitivité, d’autres le financement pérenne de « leur » collectivité. Et on se plante, tous ensemble cette fois, victimes encore une fois du syndrome de l’accord de Nouméa, qui n’en finit pas de mourir. Nous sommes tous d’accord pour demander à changer le système actuel, mais nous n’aurons rien : ni équité, ni compétitivité, ni simplification, ni rien d’autre.

La seconde raison est plus prosaïque : les élus subissent depuis 3 ans le contrecoup d’une coalition contre nature qui n’a pas fonctionné, qui n’en a probablement jamais eu la moindre chance. Coalition dont on peut d’ailleurs se demander si la réforme fiscale, dont le seul véritable but était d’augmenter la pression fiscale en Calédonie, jugée trop faible par des indépendantistes en quête d’autonomie financière, n’était pas l’une des composantes à côté du drapeau. Mais les élus en ont visiblement assez de ce jeu de dupes ; même des gens aguerris à la politique sont fatigués de cela.

Enfin, la dernière raison est sur toutes les lèvres : c’est bientôt les élections, et les réformes structurelles ne se votent pas à quelques mois d’un scrutin, c’est bien connu. Mais cette proximité n’explique pas tout. En fait les élus ont peur. Aucun d’eux ne sait comment endiguer la crise budgétaire qui se profile. 10 milliards de déficit du RUAMM, 10 milliards de nouvelles mesures sociales, ça fait déjà 20 milliards soit la somme que l’impôt sur le revenu amène chaque année à notre budget. Il faudrait doubler nos impôts pour ne financer que ces deux choses ! Le rejet de la TGA est donc aussi un rejet de responsabilité de la classe politique actuelle sur la prochaine équipe au pouvoir. Sauf à vouloir endetter outrageusement la Calédonie, la pauvre devra sévèrement couper dans les dépenses ou écraser la population sous les impôts puisque sauf imprévu, le cours du nickel va rester bas encore au-moins deux ans.

Au final, la TGA a été sacrifiée sur l’autel des non-dits, des peurs, de la démagogie électorale et des tentatives désespérées pour sortir de la logique d’un texte qui nous a fait rêver mais qui aujourd’hui nous emprisonne dans un système non majoritaire : l’accord de Nouméa.

MAGELLAN

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Magellan est un navigateur. Soucieux de regarder loin à l’horizon pour savoir dans quelle direction aller autant qu’à la verticale de la coque pour éviter les récifs, il observe avec curiosité. Eveillé récemment à la politique par plusieurs tempêtes, il s’interroge sur l’état du navire et sur la meilleure route à prendre. Ouvert à toutes les idées, pragmatique, avec une sensibilité particulière sur les sujets économiques, confiant dans l’équipage mais un peu moins dans la liste des capitaines possibles, il a pris le parti de se donner les moyens d’avoir ses propres opinions… et de les soumettre à la lecture des visiteurs de Calédosphère.