Apartés

Clic!…
Il est temps que je pense à enregistrer mes mémoires, moi.
55 ans, c’est pas vieux, mais si je commence pas à prendre des notes maintenant…
OK, je suis pas encore président du Conseil de Calédonie, ou de Kanaky, peu importe.
Ce qui compte, c’est Président!

Mais je suis Délégué, et c’est déjà pas mal, je trouve. C’est confortable. Ça rapporte presque autant que président du Conseil. Avec les frais de représentation, ça fait la différence.

Bien sûr, je mérite beaucoup mieux. Mais les petits voyages en bizness, ça me va bien déjà. Je m’habitue à l’avion présidentiel, petit à petit.
Et puis j’aime bien entendre les gens m’appeler “Monsieur le Délégué” par ci, “Monsieur le Délégué” par là. Ce qui m’amuse le plus, c’est ceux à qui ça écorche la gueule de dire ça. Le Didi, par exemple. Il s’y est cru, lui. Quand je pense qu’un mec comme ça, il croit encore aux promesses. Comme disait Chichi, elles n’engagent que ceux qui y croient. Comment que l’ai feinté! Non mais! Riche ET Délégué? Où on va?
Enfin ça reste toujours pareil, du haut en bas de l’échelle sociale, ce qu’ils veulent les gens, c’est qu’on leur promette des trucs, qu’on les fasse rêver. Et qu’on les écoute.

Non mais franchement, vous me voyez, moi, écouter vraiment les perpétuelles jérémiades de tous ces cons qui me supplient de faire embaucher leur gosse, de leur filer un poste dans l’administration?…

Non, moi, j’ai une technique infaillible: je fais semblant de les écouter. Mais ça c’est tellement au point que même mes femmes s’y sont laissé prendre! Ah les femmes! Elles me foutent hors de moi.

Les deux Sofia par exemple. Celle que j’ai fait élire, et qui commence à parler de pactiser avec l’ennemi au second tour. Même pas la reconnaissance du ventre. Une petite speakerine, vendeuse de fanfreluches, devenue Déléguée, grâce à moi. Elle me doit tout. Et l’autre alors! Elle m’a énervé dès le premier jour au Conseil. Elle voulait causer en ma présence, moi, président du Conseil! Non mais pour qui elle se prenait? Quand je parle, on ferme sa gueule.

Qu’est-ce qu’elles veulent, ces ménagères? Mes c… sur un plateau?
Enfin, si! Je les écoute parfois les gens, quand ils me glissent dans le creux de l’oreille, tel ou tel secret sur untel que je me promets de karchériser un jour ou l’autre. Mais le reste? Toujours les mêmes conneries!
Je suis très bien organisé, en fait. Dans le tiroir de mon bureau, il y a toujours trois types d’enveloppes.
Les à 5.000 balles, les autres à 10 et celles à 15. En liquide bien sûr.

C’est selon la notoriété du bonhomme. Combien il peut m’amener d’électeurs, c’est ça la bonne question. Celle qu’ils devraient se poser s’ils étaient moins cons. Enfin, pas tous! Les Wallis, ils ont bien compris ça, eux. On s’entend bien, en fait. Y en a beaucoup qui sont pas contents. Ils peuvent pas comprendre que c’est mon fonds de commerce, moi, les mécontents?
Pendant qu’ils me racontent tous leurs malheurs, leurs fins de mois difficiles, je cogite: c’est un mec à 5, à 10 ou 15 mille?
Enfin, ils sortent contents. D’eux et de moi, surtout. Je les ai écoutés, qu’ils croient, et ils repartent avec l’enveloppe pour le Bingo… ou pour les cigares. Evidemment ils me promettent tous de voter pour moi en sortant. N’à qu’à croire! Ah là là! En politique, il faut beaucoup semer pour récolter peu

Quand on fait de la politique, faut toujours cracher. Les plus chers, ce sont encore ces crânes d’oeuf parisiens qui sont censés vous conseiller. Je ne manque pas de leur parler de la noblesse de la cause qu’ils servent, vous pensez bien. Ils font semblant de vous écouter, eux aussi, et puis ils sortent leur facture d’honoraires. Je leur en ficherai moi, des “honoraires”! Le dernier, je lui ai balancé ses billets en travers de la gueule, tellement il m’avait énervé.

Enfin, heureusement que le fric rentre aussi. Des valises parfois. Mais ça, chut, même pas dans mes mémoires intimes…
Mais ça va venir! Des flots de pognon!
D’abord remporter ces p…d’élections!

Si au moins on pouvait leur dire la vérité… Leur dire que l’indépendance est inéluctable par exemple.
Moi j’en suis sûr. Il y en avait un autre aussi qu’était sûr de ça, aussi. Mon ex-copain Pétélo.
Mais il en a trop parlé. Et c’est comme ça que je l’ai napalmisé aux législatives. Bien fait pour sa gueule! S’il m’avait laissé faire au Conseil, aussi…Moins cinq je réussissais mon plan. Président de la Calédonie-Kanaky, sans les Kanaks. C’est ça mon but. Avant Président de la République française, bien sûr!

Enfin, en ce moment, à part Délégué, du pouvoir, j’en ai pas beaucoup.
Si pourtant! Il y en a un que j’ai, et qui me console, c’est celui de nuire.
Alors là, pardon, je me régale!

A chaque fois que je rencontre un de ces nabots dans les couloirs, où je suis sûr de pas être entendu, je leur claque dans la gueule: ” Je vais vous karchériser, les mecs! Vous perdez rien pour attendre”.

Ils tirent une de ces gueules, après. C’est ça, un des secrets de la guerre! Démoraliser l’adversaire.
C’est ce que leur dis, à mes baveux de la com. “Diffamez, il en restera toujours quelque chose”
Mais je peux pas tout faire. Quand je pense au prix où ils sont payés comme collaborateurs! Un scandale, ça, un vrai!
Ils phrasent trop. Le Tardy par exemple. Non mais, il croit quoi, lui? Que les gens, ils comprennent son style fleuri et ampoulé, pire que la Nouar? Non, faut faire simple, leur voler dans les plumes, c’est tout.

Après, c’est vrai, ils font ce qu’on leur dit. De marteler le coup du drapeau kanaky par exemple. La pub c’est ça. Répéter le message. Pas dire alliance mais coalition, par exemple. Pas dire drapeau Kanaky mais FLN. Les “élements de langage” qu’ils disent. Super important.
Et puis surtout pendant que les mecs s’écorchent là-dessus, ils mettent pas le nez dans autre chose. La diversion, ça s’appelle.
Moi j’ai toujours fait comme ça, d’ailleurs…

Enfin pas ouvertement, quand même! Non, moi ma spécialité, c’est les peaux de banane.
A chaque fois que je peux leur en glisser une…Par exemple, le coup de l’élection du président de l’Assemblée. J’ai cru qu’il allait encore plier sur ce coup-là, le Pétélo, et faire voter pour Gégé. Bon Ok, c’était un gros coup de poker, comme je les aime, et ça a failli marcher! Mais on s’en fout! Du moment que les gens croient que c’est la faute à Pétélo, le Wawa au perchoir, c’est pas l’essentiel?
Une défaite n’en est une que si on veut bien. Moi j’ai un truc. A chaque fois que je perds, je dis que j’ai gagné. Alors les gens ils savent plus. Ils supputent, ils essaient de comprendre, ils sont plus bien sûrs!

Je sais pas ce qu’ils ont les autres en ce moment à toujours vouloir dépenser les sous du contribuable! Mais qu’est-ce qui va me rester, à moi, dans les caisses? Ya pas si longtemps, ils voulaient refiler du fric aux contribuables, justement. 3 milliards. Rien que ça. On aura tout vu! Comment que je les ai feintés, là aussi. Je suis génial, souvent. J’ai bien expliqué aux terroristes que c’était du fric que pour les riches, en fait. Tu parles si ça a réagi aussi sec.

Aux oubliettes, leur réforme fiscale! Gommez-moi tout ça!
Je te leur en foutrai des classes moyennes, moi. Un pays qui marche, c’est un pays où il y a des très riches, et des très pauvres, qui ont pas les moyens de réfléchir, ni le temps. Tout le monde sait ça. Là on est tranquille. Ce qui empêche pas, bien sûr, de laisser croire que je suis pour les pauvres. C’est où qu’il y en a le plus, des électeurs? Chez les riches ou chez les pauvres?
C’est vrai, j’ai pas beaucoup d’idées. Heureusement que Pétélo, il en a. Le coup de la coalition, jamais je l’aurais cru capable de ça! Le p… de coup de Jarnac! Presque plus malin que moi, des fois.

Mais comment que je vais le leur rééditer, leur plan, avec Paulo!…
Enfin, ça, c’est déjà un plan B. Parce que le A, et je leur en parle souvent avec émotion à mes collaborateurs et mon fan club, c’est la déferlante CE. Toutes les mairies loyalistes, la majorité absolue à l’Assemblée!… Après bien sûr, il y a encore le C. On reste dans l’opposition mais moi toujours Délégué. J’y ai pris goût, et certains chez nous, pareil. On branle rien, on est payé pour, et on critique.
J’aime bien la politique.

Pourquoi se casser la tête, quand il y a des idées qui ont fait leurs preuves? Le Pétélo c’est un “trop bon, trop c..”, lui. Un faible. Comment que je l’ai placardisé, ringardisé! Enfin, prudence! il est encore loin d’être devenu complètement obtus, en fait, malgré le costard qu’on lui taille. Après il a ses petits dadas, comme tout le monde, la géopolitique, par exemple. Il me tannait avec ça. Et “son” Sarko! Comme si on pouvait avoir des amis, en politique. Mais je vais l’avoir. Il va venir ramper, pleurer dans mon gilet, après.

Moi c’est lui, mais en beaucoup moins gentil.

Bon allez, je me réécoute! J’aime tellement m’entendre!

Clic !…

NB: Toute ressemblance avec des personnes ou des situations réelles, ne peut être que fortuite

Antoine Martin