La fracture entre la ligne Valls/Macron et la ligne socialiste historique est très riche d’enseignements. Elle révèle au grand jour une faille dans l’approche que les élites socialistes – et au-delà d’eux, tous les citoyens que nous sommes – peuvent avoir sur l’économie.

Dans la conception socialiste traditionnelle, historiquement fondée par le marxisme même si elle a évolué depuis, la richesse est un vice du fonctionnement de l’économie capitaliste. Le capital procure une rente prélevée sur le labeur des travailleurs. Pour redresser ce tort, le système fiscal se doit d’être doublement progressif. Il doit non seulement prélever une partie de la richesse créée mais aussi voir le taux de prélèvement augmenter avec la richesse. Derrière ce mécanisme, l’idée qu’à partir d’une certaine somme d’argent, les revenus supplémentaires sont excessifs et qu’ils doivent être redistribués au reste des citoyens.
Même pour les citoyens « de droite », un certain nombre de faits sont suffisamment saillants pour s’y arrêter. L’un d’eux a été mis en lumière par Thomas Piketty dans son ouvrage « Le capitalisme au 21ème siècle. » Piketty a montré que sur une très longue période, le rendement du capital avait excédé la croissance économique. En clair, que plus le temps passe, plus les riches sont riches. Il admet que ce phénomène n’est pas inéluctable : il est beaucoup moins fort en période de croissance économique, il peut être « remis à zéro » en cas de guerre (rassurons-nous, il ne retient pas le déclenchement de conflits comme une solution viable) et il est maîtrisé par le système fiscal.

Sa solution à cet effet d’accumulation est donc une taxe sur la richesse, toute la richesse, mondiale et doublement progressive puisqu’elle atteindrait jusqu’à 80% de tous les revenus des « très riches ». Si son analyse a pu être remise partiellement en question au plan technique (les séries statistiques longues qu’il a utilisées ne sont pas totalement fiables), elle est assez largement partagée.

Sa solution par contre me semble, comme à d’autres, totalement déconnectée de toute analyse de fond. Comme les socialistes dont il est proche (il a soutenu les campagnes de Ségolène Royal et de François Hollande), Piketty se sentirait rassuré par l’instauration d’un impôt massif sur ces richesses. Derrière ce choix, une pensée si peu recherchée que c’en est surprenant pour ce très brillant économiste. « Les riches gagnent trop, on n’a qu’à les taxer plus et ils gagneront moins. » Rien n’est moins faux : ils gagneront autant, mais à la fin de l’année ils feront un plus gros chèque au fisc. Autrement dit, ils accumuleront moins mais leur position privilégiée ne sera jamais remise en cause.

Les gens de gauche les plus extrémistes y voient sans doute une déviation de la pensée marxiste qui préconisait non pas plus d’impôts mais la remise à plat pure et simple de la notion de propriété privée, en remettant le capital dans les mains du peuple (le capital du peuple étant géré par un parti unique et sans qu’il y-ait jamais d’élections, c’est plus simple). La taxation comme solution aux inégalités est effectivement moins violente de ce point de vue mais terriblement à côté du problème. Piketty comme ses amis socialistes pérennisent de fait un état bien connu, au-moins en France : le pays des castes. Combien pourrait-on dénombrer de groupes dont la vie est régie par des règles plus avantageuses que celles des autres ? Les fonctionnaires sont in-licenciables et touchent plus tôt une retraite plus élevée que les salariés du privé. Les professions réglementées sont protégées de toute concurrence et leurs revenus sont gravés dans la loi. Les salariés qui ont un emploi le gardent jalousement en s’appuyant sur un code du travail qui leur est très favorable pendant que les chômeurs restent bloqués aux portes des entreprises, portes lourdement calées par des exemplaires du même code du travail qui empêche les entreprises de se séparer des employés qui ne feraient pas correctement leur travail. Et pour se donner bonne conscience, on taxe toux ceux qui jouissent de ces avantages sans se demander pourquoi ils peuvent en bénéficier et pas d’autres !

En face de ça, certaines voix nouvelles s’élèvent pour proposer des solutions différentes : Emmanuel Macron préparerait apparemment une réforme des professions réglementées et pourquoi pas une hausse des seuils sociaux, qui obligent actuellement les entreprises à payer de nouvelles taxes et à faire élire des délégués du personnel ou syndicaux au-delà d’un certain nombre de salariés. Il est pourtant bien socialiste, ce monsieur. Mais il cherche à prendre le problème à la source : le fait que les riches paient plus d’impôts ne change en rien les avantages dont ils jouissent et qui les conduisent à avoir des revenus inéluctablement plus élevés. Il faut donc changer la structure de l’économie pour libérer la capacité des citoyens à obtenir une vie meilleure.

Ce social-libéralisme que l’on voit poindre serait une excellente chose pour la France. Il rendrait du poids à la notion de libéralisme en politique, assimilée pour de mauvaises raisons en France au conservatisme dur et inflexible, et permettrait en écho à la droite de s’orienter vers un libéralisme classique moins dur. Cette translation du jeu politique vers le centre rassemblerait sans doute d’avantage de français, tout en leur permettant de continuer d’exprimer une sensibilité de droite ou de gauche. Cela couperait ainsi l’herbe sous le pied aux extrémistes du front national ou de l’extrême gauche, à qui on est fatigués d’expliquer qu’on ne veut pas d’eux et qui sont de toutes façons, on le sait bien, incapables de gouverner.

Espérons !

Magellan

PARTAGER
Article précédentEric Gay : « C’est pas des élections qui risquent de changer les choses »
Article suivantPourquoi ne pas rétablir l’esclavage en supprimant les salaires ?
Magellan est un navigateur. Soucieux de regarder loin à l’horizon pour savoir dans quelle direction aller autant qu’à la verticale de la coque pour éviter les récifs, il observe avec curiosité. Eveillé récemment à la politique par plusieurs tempêtes, il s’interroge sur l’état du navire et sur la meilleure route à prendre. Ouvert à toutes les idées, pragmatique, avec une sensibilité particulière sur les sujets économiques, confiant dans l’équipage mais un peu moins dans la liste des capitaines possibles, il a pris le parti de se donner les moyens d’avoir ses propres opinions… et de les soumettre à la lecture des visiteurs de Calédosphère.