Le nickel pour les abrutis

24/03/2013

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Nous connaissons tous les livres jaunes qui ont commencé à faire fureur il y-a plusieurs années sous le même titre provocateur : Internet pour les nuls, Windows pour les nuls etc. Il semble que nous soyons, en Nouvelle Calédonie, sur le point de mériter notre petit livre jaune sur le sujet du nickel. Mais étant donnée la manière dont les forces politiques s’en servent dans leurs plans plus ou moins transparents pour notre avenir, on pourrait suggérer un titre un peu plus approprié : « Le nickel pour les abrutis ».

Par exemple, si on prend au hasard (ou presque) deux articles parus récemment dans la presse. Le premier dans le numéro de mars/avril 2013 d’Objectif et pour le second l’interview d’André Dang dans les Nouvelles du 14 mars dernier.

On lit dans le premier qu’Anne Dutillheul, l’experte ès-nickel du comité stratégique industriel, a calculé l’impact pour notre territoire de différents modèles miniers. En gros, nous gardons ici presque la moitié (46%) de la valeur du métal exporté lorsque notre terre est transformée en nickel dans une usine calédonienne. Si nous construisons une usine à l’étranger et que nous en prenons le contrôle, nous touchons environ 35% de la valeur du métal au début, puis nous en rapatrions à la maison jusqu’à 40% une fois l’usine amortie. J’ai entendu des gens dire après avoir lu l’article (je cite de mémoire) « Bon ben c’est presque pareil. »

Sans vouloir euphémiser, il y-a quand même quelques petites différences. D’abord quand on s’offre une usine à l’étranger, les emprunts sont longs à rembourser. Pendant tout ce temps-là, le nickel quitte effectivement le territoire mais l’argent qui donne l’impression de rentrer en face repart en fait illico presto chez les banquiers qui nous ont prêté de quoi construire l’usine. Ensuite, après toutes ces années, quand on commence enfin à voir le flot de billets verts compenser la disparition de l’or vert du pays, on touche moins que si on avait une usine sur place (40% au lieu de 46%). Sérieusement, toutes ces années de remboursement de crédit perdues pour gagner moins au bout du compte ? Comment peut-on dire que c’est presque pareil ?

Ce qui est sûr, c’est que là où les bénéfices d’une exploitation industrielle sur place sont répartis dans des milliers de salaires et de chiffres d‘affaires d’entreprises sous-traitantes, les dividendes d’une usine à l’étranger, eux, sont concentrés entre bien peu de mains. Si le modèle des usines à l’étranger est moins rémunérateur pour le pays, il concentre la richesse infiniment plus que l’autre. D’autant plus qu’il est considérablement moins coûteux de construire une usine en Chine ou en Corée qu’ici.

De son côté, André Dang intervient dans les Nouvelles pour mettre en avant une injustice : le Koniambo ne représente que 4% des surfaces minières concédées en Nouvelle Calédonie. C’est tellement minuscule que cela n’a permis que de « construire la plus grande usine de fusion de nickel au monde » et de n’en avoir que « pour plus d’un siècle » d’exploitation, tout cela pour seulement « plus de 1.000 emplois, et plus de 3.500 induits ». Ben mazette, effectivement c’est complètement nul. La plus grande usine du monde, 4.500 emplois garantis pour un siècle, on se demande pourquoi on a vu Paul Néaoutyne boire le champagne au goulot en première page des Nouvelles quand il a signé avec Falconbridge.

Mais puisqu’André Dang s’en plaint malgré tout, où est le problème ?

En fait, le souci semble plutôt porter sur la SMSP, qui n’aurait pas assez de minerai pour les usines à l’étranger, justement. A se demander pourquoi on parle de KNS au début de l’interview, pour qui manifestement tout va bien. Et au cours de la discussion, après la mise en avant du projet KNS, on en vient rapidement au cœur du sujet : « Voilà pourquoi nous souhaitons un rééquilibrage dans le partage de la ressource minière dans le pays. » Rééquilibrage qui devrait permettre d’exporter d’avantage de minerai vers des usines construites à l’étranger. C’est sans doute la phase 2 du projet « Chinese connection » de Paul Néaoutyne, après la phase 1 constituée par la signature d’un « memorandum of understanding » avec le groupe chinois Jinchuan (voir les Nouvelles du 11 septembre 2012). Un memorandum qui a donc été signé, maintenant c’est André Dang qui le dit, sans avoir la capacité d’alimenter une usine chinoise en minerai.

Quel grand écart formidable que d’utiliser dans une même interview le symbole positif du projet de l’usine du nord, usine locale, pour tenter de justifier le recours à un autre modèle, celui des usines à l’étranger, moins rémunérateur et moins glorieux pour le pays ! Sans parler du grand écart pont-suspenduesque de la dernière phrase de l’interview, dans laquelle la manifestation de l’USTKE, dont les adhérents n’ont pas vu leur salaire augmenter depuis 5 ans, est instrumentalisée dans le même but. Les syndicalistes pensaient manifester pour une hausse des salaires à la SMSP, André Dang leur répond de ne pas s’inquiéter, qu’il va faire le nécessaire pour obtenir d’avantage de ressources minières pour donner des salaires… à des camarades chinois, en fait.

Derrière cette cacophonie d’informations portant sur des sujets aussi compliqués, il y-a la politique…et le business. La SMSP a besoin des dividendes d’usines à l’étranger, moins chères à construire, pour préparer le projet d’indépendance de son actionnaire Province Nord. Cette soif de financement de l’indépendance est si forte, si absolue et si inextinguible, qu’elle fait déraper des gens de gauche convaincus vers des pratiques tout-à-fait capitalistes, les poussant même à instrumentaliser des syndicats et à vampiriser l’intérêt général.

Le problème des dérapages, c’est quand ils sont incontrôlés : jusqu’où est-il légitime d’aller, lorsqu’on souhaite l’indépendance ? Jusqu’à des modèles économiques moins avantageux pour le pays dans son ensemble ? Jusqu’à des dettes colossales, garanties par la collectivité, destinées à financer des usines produisant un nickel dont le cours est plus volatil que les marchés boursiers ?

Allez, je vous aime bien alors j’en rajoute une couche : Philippe Gomès est favorable à une prise de contrôle de la SLN par la Nouvelle Calédonie, comme André Dang et Paul Néaoutyne. Les deux derniers veulent s’en servir pour financer l’indépendance. Mais le premier, lui, que veut-il exactement ? C’est l’usine la plus ancienne et la moins rentable du territoire. Même avec une nouvelle centrale, et même à charbon, elle n’aurait rien de sexy sur le plan financier. Son seul attrait ce sont ses titres miniers, qui rendent son exploitation pérenne. Est-ce qu’on ne serait pas en train de nous préparer une levée du drapeau FLNKS à la sauce Calédonie Ensemble ? Genre je te donne les titres miniers symbole de l’accession à l’indépendance, et en retour tu renonces à ton projet d’indépendance ? J’espère que ce n’est pas le cas. Comme tous les calédoniens, je connais déjà la réponse des indépendantistes à cette stratégie : « merci ».

Finalement, je me rends compte que je comprends systématiquement ou presque le contraire des messages qui sont véhiculés par les politiques ou leurs lobbyistes. Cela ne peut vouloir dire qu’une seule chose : je suis un abruti.