Le nickel ou l’indépendance sans les indépendantistes

15/04/2013

7 995

Etonnante émotion populaire que celle de la première coulée technique de nickel de l’usine du nord. Le beau consensus sur le sujet, qui mêle magnifiquement les promoteurs et les opposants politiques, les rêveurs et les détracteurs de la première heure, est presque trop beau pour être vrai.
Dans l’instant de l’annonce, on en comprend les messages les plus évidents : on tourne la clef, du nickel sort de l’usine, des centaines de gens ont du travail, c’est dans le nord, bravo. Puis viennent les considérations politiques, tout aussi simples : les indépendantistes sont émerveillés de voir fonctionner l’outil de l’indépendance ; les autres n’y voient pas le même symbole mais s’en félicitent quand même, parce que c’est une prouesse technique et que c’est bien pour le développement du nord.
Pourtant il y-a plus que tout cela. L’usine du nord, c’est le prix d’une période de 20 ans pendant laquelle les indépendantistes avaient accepté de ne pas faire la guerre, puisque le préalable minier avait été posé pour signer l’accord de Nouméa, qui prolongeait celui de Matignon. Et ce prix a été demandé uniquement parce que cette usine est le symbole de l’autonomie financière. Voyons donc ce qu’elle peut rapporter.

La SLN paye en moyenne 3 milliards d’impôt sur les bénéfices par an. Parfois beaucoup plus, parfois beaucoup moins, c’est une moyenne. Admettons que l’usine de KNS, qui a la même capacité théorique, soit trois fois plus rentable. Elle paierait alors 9 milliards d’impôts. Arrondissons à 10. Bien sûr, nous nous plaçons là au terme du pacte fiscal que lui a accordé le territoire et qui lui permet de ne payer aucun impôt pendant 15 ans. Comme la Province Nord en est (indirectement) actionnaire à 51%, un petit calcul nous indique qu’elle toucherait au passage 9 milliards de dividendes. Bien sûr, nous nous plaçons là au moment où les emprunts contractés pour financer KNS à hauteur de 51% auront été remboursés.

Mais oublions les détails temporels pour nous concentrer sur les chiffres : 10 milliards d’impôts et 9 milliards de dividendes font 19 milliards. Arrondissons à 20. C’est gigantesque. C’est très insuffisant.
On nous annonce que les transferts de l’Etat en Nouvelle Calédonie pèsent entre 120 et 140 milliards par an. Je ne sais pas d’où viennent ces chiffres, notre balance des paiements de 2011 parle plutôt de 100 milliards, nets des retours financiers vers la Métropole. En langage indépendantiste, cela fait donc 5 usines du nord. On comprend soudainement pourquoi il est si impératif de construire des usines de nickel à l’étranger, où elles coûtent moins cher, et d’en prendre 51%, pour pouvoir un jour en toucher les dividendes. C’est la course aux 100 milliards. Course qui a d’ailleurs rendu l’usine du nord obsolète avant même sa première coulée : trop chère à construire, il aurait fallu la faire en Chine.

En plus de son manque d’ampleur, la richesse nickel est extrêmement volatile. Imaginons que votre salaire varie dans les mêmes proportions que le cours du nickel : avec un revenu de 400 000 F par mois en 2006, vous auriez gagné 615 000 F en 2007, 350 000 F en 2008, 240 000 F en 2009, 360 000 F en 2010 etc. Le tout sans jamais le savoir à l’avance. La richesse économique qui y est liée variera donc dans les mêmes proportions, et on ne peut pas décider une année de ne plus financer les écoles ou les hôpitaux pour les rouvrir – peut-être – l’année suivante si le cours du nickel s’est redressé.

Le nickel, grande richesse de la Nouvelle Calédonie, ne paiera donc pas pour son indépendance. On ne remplace pas le développement équilibré de toute une économie par l’exploitation d’une unique ressource naturelle.
En fait, il y-a plus d’indépendance dans un calédonien qui ouvre sa petite entreprise, même s’il en est le seul employé, que dans toutes les usines de nickel du nord, de Corée ou de Chine. La quête effrénée des usines témoigne d’une confiance très émoussée des leaders indépendantistes dans leurs propres électeurs, qui les amène à travailler à l’indépendance avec le nickel… mais sans les indépendantistes.

Photo: lnc