Je suis agacé par les programmes ethno-politiques à l’élection municipale de Nouméa

Après avoir lu sur Calédosphère l’interview dévoilant le programme du candidat Jean-Raymond Postic pour les élections municipales à Nouméa, et après y avoir laissé quelques remarques franches, je viens de me rendre compte d’une chose qui m’agace; l’élection municipale pour remporter la Mairie de Nouméa, en lieu et place d’une élection purement centrée sur les problèmes de la ville et sur les citadins dans leur ensemble, est dévoyée ( c’est le mot) pour être encore exploitée comme champ de fractionnement et confrontation entre les les-dits citoyens que l’on vient encore diviser sur des critères ethniques et un “projet” construit sur critères idéologiques et politiques; les mêmes lignes de fracture que l’on rencontre lors des élections provinciales. Fractionnement et confrontation parce qu’une revendication identitaire se pose comme la raison d’être d’une candidature et d’un “programme”.

Voici donc un programme où on nous ressert ces fadaises dont nous nous sommes lassés, appuyé sur un contenu tellement idéologique et démagogique qu’il frise avec le mensonger. Ainsi lit-on qu’ « il est important que Nouméa soit le reflet de notre diversité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ». Je ne savais pas que les rues de Nouméa ressemblaient aux rues de Sydney ou de Johannesbourg du temps de l’apartheid, où la présence d’un homme à peau non-blanche était aussi fréquente que celle d’un extra-terrestre. Est-ce la preuve que la vision partisane d’un homme peut être aveuglante à ce point ? Tout ça parce que des touristes lui ont dit que … ? Monsieur n’est-il jamais allé au marché de Nouméa ? Moi, quand je marche dans le centre-ville, je me sens dans un ville multiethnique et océanienne (une ville “arc-en-ciel” comme aiment dire certains) je me sens au contact presque physique de cette diversité qui fait ce qu’est la Nouvelle-Calédonie, qui fait mon identité de Calédonien. La diversité existe, même si elle n’est pas parfaitement bien répartie entre les quartiers, elle existe.

On lit ensuite que le candidat souhaite « que l’identité kanak soit pleinement reconnue et qu’elle s’affiche enfin dans le paysage de la ville ». Là, on se dit que certains ont besoin de changer de lunettes ! Explication : depuis bien longtemps, l’identité kanak, par le biais de constructions est reconnue, implantée, acceptée et respectée dans la ville. Commençons par le commencement, avec le Musée de Nouméa qui depuis des décennies met à l’honneur les cultures mélanésiennes dans leur ensemble. Et comme tout écolier nouméen j’y suis allé plusieurs fois du temps de mon enfance. Dans les années 80 a été construit le centre Ko We Kara, à l’entrée de la ville… tout un symbole. Puis le marché de la Moselle et ses constructions en forme de cases. Puis le centre culturel Jean-Marie Tjibaou et en l’an 2000 l’architecture en flèche faîtière du Lycée du Grand Nouméa. Une réussite, vue du ciel. La reconnaissance de l’identité kanak est actée depuis belle lurette, son acceptation et son implantation dans la ville se faisant aussi par le fait que l’on construise des édifices en forme de case au milieu d’établissements (scolaires) publics, comme le forum qui fait office de “case centrale” du lycée Jules Garnier. Peut-être pas une vraie case (matériaux et contraintes obligent) mais un symbole bien évident. Et pour finir les cases s’inscrivant dans l’intérêt touristique de la ville, comme celles de l’Anse Vata, la case du centre nautique située au milieu cette même plage, la case de l’hôtel Méridien. Sommes-nous alors coupables de “toujours pas assez” ?

Et vous savez quoi ? 99% des Nouméens n’ont aucun problème avec ça. Je m’aventurerai même jusqu’à dire que 99% de ceux qui (j’en fais partie) composent ” Nouméa la blanche” n’ont aucun problème avec ça; pour eux –nous– c’est tout à fait normal. Car ces cases ou bâtisses symbolisant, amenant l’identité kanak dans la ville font même partie pour nous, non-kanak habitant Nouméa, de notre identité collective, une identité peut-être encore floue, subconsciente –aussi abstraite et fragile soit-elle à ce stade de notre histoire– mais non-gênante et certainement en voie de construction. Une identité collective, une identité plurielle, une identité calédonienne… oui, “calédonienne”, au-dessus des fractionnements ethniques. Rien de moins. Par contre, ces mêmes 99% de Nouméens cités plus haut ont en sans doute ras-le-bol –il faut le dire– que certains passent leur temps à nous resservir cette soupe avariée et (réchauffée du 24 septembre 2012) de l’identité encore non-reconnue et revendiquée, de la victimisation des uns, donc un discours qui met subrepticement en avant la division, la friction, car il porte en lui l’injuste et inutile mise en culpabilité du non-kanak ( donc de l’Européen ) de Nouméa qui ne reconnaitrait pas l’identité kanak. Faux et ridicule. Qui ne reconnait pas l’identité de qui aujourd’hui ? Et par ailleurs, personne n’aura remarqué que les citoyens estampillés “Nouméa la blanche” n’ont jamais mis le feu à ces constructions d’identité kanak…. dans une ville où pourtant le feu n’est pas un événement rare. Libre au lecteur d’interpréter cela comme il lui plait.

Alors quel est l’intérêt, la pertinence d’un tel “programme” et d’un tel discours qui frise avec le déni de réalité ? Nous resservir les mêmes fadaises d’une vague victimisation surannée à la limite mensongère? Et concrètement on fait quoi de plus pour « que l’identité kanak soit pleinement reconnue et qu’elle s’affiche enfin dans le paysage de la ville » ? Voilà donc une candidature et une campagne reposant sur de l’idéologique ethno-centré caduque et stérile –reposant lui-même sur un constat fallacieux– inutilement et sournoisement vindicatif. En plus des constructions citées plus haut, il y a déjà dans notre ville un foyer wallisien, un foyer tahitien, un foyer vietnamien, et de temps à autre des manifestations culturelles, ce qui est une bonne chose, mais que doit-on faire de plus pour ne plus être coupable de “ne pas reconnaître”, à part quelques petits aménagements ça et là ? Et ceci constitue-t-il un vrai programme à la hauteur et en face des vrais problèmes de la ville ? Comme si les choses, les priorités réelles de la ville se limitaient à ça ? Problèmes bien plus concrets et compliqués, qui affectent tous les citoyens, qui demandent des engagement clairs et fermes et sans doute du cran. Alors cessons ces mièvreries et bisounourseries dépassées et sans intérêt qui ne sont pas ce autour de quoi “on construira un destin commun.”

Ce qui m’agace donc dans tout cela, c’est que dans le cadre de cette élection municipale les vrais problèmes et enjeux de la ville de Nouméa ne sont pas une question “d’identité kanake” vs “d’identité européenne” qu’il faut encore mettre sur la table et opposer les unes aux autres. Ce sont des problèmes concrets : c’est de l’urbanisme mal pensé dont la résultante est le stationnement anarchique sur les trottoirs au détriment des piétons, des trottoirs de terre battue qui se transforment en bourbiers (agréable pour les scolaires) quand il pleut. Un manque de présence, d’autorité et de sanctions de la part des polices devant ces incivilités routières. Des problèmes de crèche, de logement, des problèmes d’insécurité, de nuisances sonores, de vandalisme. Des désaccords sur les grands projets d’aménagement urbain. Les vrais problèmes de la ville de Nouméa, comme tous les problèmes que la vie de la cité peut porter en elle, transcendent les appartenances ethniques et donc concernent tout le monde. Les campagnes doivent donc fédérer les citoyens sans distinctions ethniques autour d’idées, de projets concrets et nécessaires servant l’intérêt de tous, afin de faire naître un “esprit pays” citoyen au-dessus des cloisonnements ethniques rancuniers.

Au lieu de fédérer sans distinction les citadins autour de ces vrais problèmes et de vrais projet d’intérêt général, la candidature Postic préfère donc tout remettre dans le champ du fractionnement ethnique et politique de ce pays, et nous ressortir — habilement, car sans le nommer — une sorte de 24 septembre 2012 (au cours duquel une bande de turlupins s’est illustrée par des agissements qui ont piétiné et décrédibilisé la parole kanak) et ainsi embourber encore les esprits dans la victimisation, dans le revendicatif, dans le dresser les uns contre les autres et recristalliser les esprits autour d’une affaire tordue et terminée. Ces histoires “d’identité pas reconnues” autour desquelles on prétend construire un destin commun et blablabla ne sont que de la littérature fantaisiste, creuse, stérile, divisante. Faire de la politique sur des programmes aux accents “ethniques” et idéologiques peut se concevoir au niveau des élections provinciales, “au niveau du pays”, mais pas au niveau des municipales, et ainsi faire de cette élection, faire de la ville un champ de bataille entre les gens de ce pays, encore et toujours. Parce qu’arrivé à ce stade ou est la “politique pays”, “l’esprit pays”, celui qui nous fédère tous et transcende les ethnies, celui du destin commun, celui qui aborde les problèmes réels qui concernent l’ensemble des citoyens? Celui qui devrait justement trouver sa génèse en commençant par le bas, au niveau municipal.

Pour conclure, il faut avoir la grandeur d’esprit d’être au-dessus des cloisonnements idéologico-ethniques divisant, dépassés et vindicatifs ( et inavoués en tant que tels) kanak/non-kanak et donc au-dessus d’une partialité mal dissimulée –mais bien réelle– quand on prétend être maire de Nouméa, le maire de tous les Nouméens. Le fait d’avoir dit « que l’identité kanak soit pleinement reconnue et qu’elle s’affiche enfin dans le paysage de la ville » –phrase qui ne peut se détacher d’un contexte bien précis évoqué plus haut– et mis cela en premier plan dans sa campagne est donc le signe d’une candidature purement politique –pour ne pas dire idéologique– partisane et divisant les citoyens. Un Maire doit rassembler ses administrés autour de questions majeures, et non les diviser sur des arguments futiles. JRP semble avoir choisi de travailler dans ce sens dans sa campagne. Et il a rejoint le royaume de l’excellence politique lokale … candidature et programme loufoques en sont la marque.

Mister Eric