Armes à feu : le cocktail explosif calédonien

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Il suffit de suivre l’information pour constater qu’il y a eu de toute évidence sur 2012 et 2013 une montée de la violence par armes à feu en Nouvelle-Calédonie, avec pour résultat homicides et blessures. Et comme les chiffres l’ont montré les ventes d’armes ont pris des proportions inquiétantes.

Inquiétantes non pas que par le nombre, mais aussi par les motivations des acheteurs; rappelons-nous que suite à l’incident de la Vallée du Tir où un homme a tiré sur un autre, le Haut-Commissaire a précisé lors d’un passage au journal télévisé que l’arme saisie était équipée d’une lunette de vision nocturne et d’un silencieux…. effrayant. Effrayant de savoir que dans un pays où les cambriolages sont en constante augmentation, une arme de ce genre peut tomber dans les mains de n’importe quel mineur où jeune majeur enclin à des comportements anti-sociaux.

A peine sortons-nous de 2013 qui a été marqué par des faits d’arme que 2014 commence avec un homicide à Ouegoa — village qui, si mes souvenirs sont exacts avait fait l’actualité il y a quelques mois suite à des incidents violents. Homicide dont les circonstances, les motivations sont aussi choquantes qu’absurdes : des coups de feu anodins se terminent en montée de tension, fusillade et mort d’homme, dans un village qu’on pourrait qualifier de « sensible » et dans des circonstances où tout porte à croire que la raison, la maîtrise de soi ont cédé devant le tempérament violent et la préméditation, et surtout devant la facilité d’accès aux armes à feu. Ce qui n’est pas une première. Quelques soient les raisons et circonstances exactes de ce drame, quelque soit la vérité de cette histoire, celle-ci est symptomatique de ce que nous allons appeler  » le cocktail explosif calédonien »; elle est ce qui a motivé la rédaction de cet article.

La vente libre d’armes à feu représente un danger particulier pour la paix civile en Nouvelle-Calédonie pour deux raisons. La première, c’est celle d’un caractère bien trempé, impulsif, facilement enclin à la violence* verbale — et physique — des hommes de ce pays, et ce quelque soit l’ethnie; le caldoche, le métis, le kanak ont en commun ce caractère local « bien trempé » (même si bien sûr il faut dire que TOUS les individus de chaque groupe nommé ne sont pas comme cela). Ensuite, il y a le contexte politique calédonien, son passé que nous connaissons, les conflits fonciers et enjeux en tous genres, les lignes de fracture ethno-politiques, les méfiances mutuelles –ou les haines– qui couvent sous les braises. Et avec beaucoup d’armes acquises par le citoyen lambda, chacun de ses milliers d’acquéreurs récents ayant ses raisons…, je pense que ceci est le troisième ingrédient venu compléter le cocktail explosif calédonien; les conditions sont maintenant réunies pour aller vers une société de plus en plus violente dans un contexte porteur.

La problématique se pose aussi dans le contexte d’une délinquance des mineurs en constante augmentation et dont la nature violente est aussi en progression. Une jeunesse qui a grandi dans l’impunité (merci qui ?), impunité qui n’a pu que formater chez eux un mode de pensée confortant le caractère acceptable, banal de leur violence. A terme, cette « génération qui monte » et qui repousse sans cesse les limites de son audace fera les adultes de demain qui n’ayant eu peur de rien seront sans doute les futures gâchettes sensibles du pays. Il ne faudra pas être surpris si au fil du temps un phénomène se développe si le contexte s’y prête: les violences de droit commun et violences politiques pourraient se confondre, peut-être même jusqu’à devenir une seule et même violence si ce pays devait sombrer dans une certaine instabilité, si le contexte social, économique, politique devait se dégrader, si les institutions garantes de l’ordre et la sécurité publique ne sont plus en moyen de remplir leur mission, soit lors d’une période d’instabilité politique et d’insécurité qui en découle, soit suite à un désengagement de la France. Car dans cette perspective il ne faut pas refuser de constater que la délinquance (devenue violente) des mineurs concerne fortement la jeunesse kanak et que celle-ci est aussi toute acquise à  » la cause ».

Enfin, il ne faut pas oublier ce trait de caractère bien local qui à contre-raison consiste à sortir son flinguot pour tirer et faire n’importe quoi ( dans mon quartier résidentiel, des voisins se sont déjà amusés à tirer des coups de feu en l’air à minuit pour fêter le nouvel an ! ). Ceci est-il l’expression d’une immaturité collective où les hommes de ce pays ne savent pas qu’une arme à feu n’est pas un jouet, et surtout qu’on ne doit pas se comporter comme cela devant les enfants ? Dois-je aller jusqu’à écrire que les comportements imbéciles dont savent faire preuve certains individus ici ne peuvent qu’être un facteur à risque supplémentaire ? Parce que c’est peut-être bien ce qui s’est passé à Ouegoa… ou ailleurs par le passé, comme quoi il suffit de peu pour faire exploser le cocktail. Les armes en soi ne sont pas un problème, c’est ce qu’il y a dans la cervelle de ceux qui en possèdent qu’est le problème; c’est l’argument principal du lobby pro-armes à feu aux Etats-Unis. C’est certainement vrai en Calédonie, où une « gun culture » se transmet facilement.

La libéralisation des ventes d’armes ayant été suivie d’une augmentation des faits de violence commis avec celles-ci, et mis des armes dans les mains de beaucoup de personnes, les hommes politiques locaux qui ont directement ou indirectement, laissé faire et rien dit, ou approuvé, ou signé dans ce sens portent une responsabilité morale dans ce qui se passe, mais surtout dans ce qui pourrait peut-être se passer à l’avenir, tant dans les violences de droit commun (entre individus) que dans le potentiel de violences politiques (inter-ethniques, comme  » Les Evénements », ou ce qui s’est passé à Saint-Louis en 2002) que le contexte calédonien porte en lui. Mais n’allons pas plus loin dans cette voie, c’est inutile, vous savez autant que moi que la marque de fabrique des politiciens calédoniens, c’est de ne rien assumer de leur erreurs; l’actualité de ces dernières années abonde en exemples. Ne pas avoir vu que libérer les ventes d’armes amènerait le troisième ingrédient d’un contexte pré-existant que ces mêmes politiciens ne peuvent ignorer est une lourde faute morale, une lourde faute de parcours dont l’explication est mystérieuse: manque de hauteur de vue, favoriser des intérêt particuliers, clientélisme électoral, sombre calcul, idiotie ?

Et pour finir, je rappellerai que récemment, des « historiens » ont voulu recatégoriser  » les Evénements «  en les rebaptisant  » la guerre civile de Nouvelle-Calédonie ». Démarche absurde et surtout inutile pour se donner des frissons ou s’auto-justifier en tant qu’historien, alors que ces événements n’ont jamais été une guerre civile à proprement parler, mais cela n’est pas le sujet. Par contre, il semble que beaucoup ici s’y soient préparés, à la « guerre civile » ; les raisons de ces nombreux achats de fusils ne sont pas innocentes. Si on pouvait demander à tous ces récents acheteurs ce qui a motivé leur démarche, on ne pourrait pas jouer les étonnés quand on connait et on comprend ce pays.

Mister Eric

(*) les chiffres sur les violences faites aux femmes dans ce pays ne sont-ils pas une preuve de ce tempérament local enclin à la violence ?